Le
réalisme de Dieu : la miséricorde
Chacun
de nous a eu une expérience de
famille. Dans certains cas, l’action
de grâce jaillit avec plus de facilité que dans d’autres, mais
nous avons tous vécu cette expérience, et dans
ce contexte, Dieu
est venu à notre rencontre. Sa
parole est venue à nous non comme une suite de thèses abstraites,
mais comme une compagne de voyage qui nous a soutenus au milieu de la
douleur, nous a animés dans la fête et nous a toujours indiqué le
but du chemin.
Cela
nous rappelle que nos familles
- les familles dans nos paroisses avec leurs visages, leurs
histoires, avec toutes leurs complications - ne
sont pas un problème : elles
sont une opportunité que Dieu place
devant nous. Une opportunité qui nous pousse à susciter une
créativité missionnaire capable d’embrasser toutes les situations
concrètes. Non seulement de celles qui viennent ou qui se trouvent
dans les paroisses - ce serait facile, plus ou moins -, mais de
pouvoir arriver aux familles de nos quartiers, à ceux qui ne
viennent pas.
Cette
rencontre nous met au défi de ne considérer rien ni personne comme
perdu, mais à chercher, à renouveler l’espérance de savoir que
Dieu continue d’agir à l’intérieur de nos familles. Cela nous
met au défi de n’abandonner personne parce qu’il n’est pas à
la hauteur de ce qu’on lui demande. Et ceci nous impose de sortir
des déclarations de principe pour pénétrer dans le cœur palpitant
des quartiers : il faut aller ! Aller où Dieu est. Dieu
est là : Dieu qui anime, Dieu qui vit, Dieu qui est crucifié…
mais c’est Dieu.
Dans la parabole
du pharisien et du publicain, nous entendons le pharisien s’écrier :
« Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme
les autres hommes - ils sont voleurs, injustes, adultères -,
ou encore comme ce publicain» (Lc
18,11). Ça nous renvoie à une
tentation à laquelle nous sommes continuellement exposés, qui est
d’avoir une logique séparatiste. Pour nous défendre, nous croyons
gagner en identité et en sécurité chaque fois que nous nous
différencions ou que nous nous isolons des autres, spécialement de
ceux qui vivent dans une situation différente. Mais l’identité
ne se fait pas dans la séparation,
l’identité se fait dans
l’appartenance : mon
appartenance au Seigneur me donne une identité.
Je n’ai pas à me détacher des autres pour qu’ils ne me
“contaminent“ pas.
Nous ne pouvons pas analyser, réfléchir,
et encore moins prier, comme si nous étions sur les rives ou sur des
sentiers différents. Tous, nous avons besoin de nous convertir,
tous, nous avons besoin de nous mettre devant le Seigneur pour
renouveler chaque fois l’alliance avec lui et lui dire avec le
publicain : « Mon Dieu, aie pitié de moi qui suis un
pécheur ! » Avec ce point de départ, nous restons inclus
dans la même “partie“ - non pas détachés, inclus dans la
même partie -, et nous nous mettons devant le Seigneur avec une
attitude d’humilité et d’écoute.
Regarder
nos familles avec la délicatesse avec laquelle Dieu les regarde nous
aide à orienter nos consciences
dans la même direction que Dieu.
L’accent mis sur la miséricorde
nous met face à la réalité de manière réaliste, mais pas avec
n’importe quel réalisme, mais avec le
réalisme de Dieu. Nos analyses sont
importantes et elles sont nécessaires et elles nous aideront à
avoir un sain réalisme. Mais rien n’est comparable au réalisme
évangélique qui ne s’arrête pas
à la description des situations,
des problématiques - encore moins du péché -, mais qui va
toujours au-delà et réussit à
voir
derrière chaque visage, chaque histoire, chaque situation, une
opportunité, une possibilité.
Le
réalisme évangélique s’engage
envers l’autre, envers les autres et ne
fait pas des idéaux et du “devoir
être“ un obstacle
pour rencontrer les autres dans les
situations où ils se trouvent. Il ne s’agit pas de ne pas proposer
l’idéal évangélique, non. Au contraire, il nous invite à
le vivre à l’intérieur de l’histoire avec tout ce que cela
comporte. Et cela ne signifie pas ne pas être
clair dans la doctrine, mais éviter
de tomber dans des jugements et des comportements qui n’assument
pas la complexité de la vie. Le réalisme évangélique se salit les
mains parce qu’il sait que le « grain et l’ivraie »
poussent ensemble - et le meilleur grain, dans cette vie, sera
toujours mélangé à un peu d’ivraie.
Je
comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne donne
lieu à aucune confusion, je les comprends. Mais je crois
sincèrement que Jésus veut une Église attentive au bien que
l’Esprit Saint répand au milieu de la fragilité : une Mère
qui, au moment même où elle explique clairement son enseignement
objectif, ne renonce pas au bien possible, bien qu’elle coure le
risque de se salir avec la boue de la route. Une Église capable
d’assumer la logique de la compassion envers les personnes
fragiles, et d’éviter les persécutions ou les jugements trop durs
et impatients - l’Évangile même nous demande de ne pas juger et
de ne pas condamner (cf.
Mt 7,1 ; Lc 6,37).
Congrès
ecclésial du diocèse de Rome, basilique Saint Jean-du-Latran, jeudi
16 juin 2016
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