25 juin 2016

Du Pape François

Le réalisme de Dieu : la miséricorde




Chacun de nous a eu une expérience de famille. Dans certains cas, l’action de grâce jaillit avec plus de facilité que dans d’autres, mais nous avons tous vécu cette expérience, et dans ce contexte, Dieu est venu à notre rencontre. Sa parole est venue à nous non comme une suite de thèses abstraites, mais comme une compagne de voyage qui nous a soutenus au milieu de la douleur, nous a animés dans la fête et nous a toujours indiqué le but du chemin.
Cela nous rappelle que nos familles - les familles dans nos paroisses avec leurs visages, leurs histoires, avec toutes leurs complications - ne sont pas un problème : elles sont une opportunité que Dieu place devant nous. Une opportunité qui nous pousse à susciter une créativité missionnaire capable d’embrasser toutes les situations concrètes. Non seulement de celles qui viennent ou qui se trouvent dans les paroisses - ce serait facile, plus ou moins -, mais de pouvoir arriver aux familles de nos quartiers, à ceux qui ne viennent pas.
Cette rencontre nous met au défi de ne considérer rien ni personne comme perdu, mais à chercher, à renouveler l’espérance de savoir que Dieu continue d’agir à l’intérieur de nos familles. Cela nous met au défi de n’abandonner personne parce qu’il n’est pas à la hauteur de ce qu’on lui demande. Et ceci nous impose de sortir des déclarations de principe pour pénétrer dans le cœur palpitant des quartiers : il faut aller ! Aller où Dieu est. Dieu est là : Dieu qui anime, Dieu qui vit, Dieu qui est crucifié… mais c’est Dieu.
Dans la parabole du pharisien et du publicain, nous entendons le pharisien s’écrier : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes - ils sont voleurs, injustes, adultères -, ou encore comme ce publicain» (Lc 18,11). Ça nous renvoie à une tentation à laquelle nous sommes continuellement exposés, qui est d’avoir une logique séparatiste. Pour nous défendre, nous croyons gagner en identité et en sécurité chaque fois que nous nous différencions ou que nous nous isolons des autres, spécialement de ceux qui vivent dans une situation différente. Mais l’identité ne se fait pas dans la séparation, l’identité se fait dans l’appartenance : mon appartenance au Seigneur me donne une identité. Je n’ai pas à me détacher des autres pour qu’ils ne me “contaminent“ pas.
Nous ne  pouvons pas analyser, réfléchir, et encore moins prier, comme si nous étions sur les rives ou sur des sentiers différents. Tous, nous avons besoin de nous convertir, tous, nous avons besoin de nous mettre devant le Seigneur pour renouveler chaque fois l’alliance avec lui et lui dire avec le publicain : « Mon Dieu, aie pitié de moi qui suis un pécheur ! » Avec ce point de départ, nous restons inclus dans la même “partie“ - non pas détachés, inclus dans la même partie -, et nous nous mettons devant le Seigneur avec une attitude d’humilité et d’écoute.
Regarder nos familles avec la délicatesse avec laquelle Dieu les regarde nous aide à orienter nos consciences dans la même direction que Dieu. L’accent mis sur la miséricorde nous met face à la réalité de manière réaliste, mais pas avec n’importe quel réalisme, mais avec le réalisme de Dieu. Nos analyses sont importantes et elles sont nécessaires et elles nous aideront à avoir un sain réalisme. Mais rien n’est comparable au réalisme évangélique qui ne s’arrête pas à la description des situations, des problématiques - encore moins du péché -, mais qui va toujours au-delà et réussit à voir derrière chaque visage, chaque histoire, chaque situation, une opportunité, une possibilité.
Le réalisme évangélique s’engage envers l’autre, envers les autres et ne fait pas des idéaux et du “devoir être“ un obstacle pour rencontrer les autres dans les situations où ils se trouvent. Il ne s’agit pas de ne pas proposer l’idéal évangélique, non.  Au contraire, il nous invite à le vivre à l’intérieur de l’histoire avec tout ce que cela comporte. Et cela ne signifie pas ne pas être clair dans la doctrine, mais éviter de tomber dans des jugements et des comportements qui n’assument pas la complexité de la vie. Le réalisme évangélique se salit les mains parce qu’il sait que le « grain et l’ivraie » poussent ensemble - et le meilleur grain, dans cette vie, sera toujours mélangé à un peu d’ivraie. 
Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne donne lieu à aucune confusion, je les comprends. Mais je crois sincèrement que Jésus veut une Église attentive au bien que l’Esprit Saint répand au milieu de la fragilité : une Mère qui, au moment même où elle explique clairement son enseignement objectif, ne renonce pas au bien possible, bien qu’elle coure le risque de se salir avec la boue de la route. Une Église capable d’assumer la logique de la compassion envers les personnes fragiles, et d’éviter les persécutions ou les jugements trop durs et impatients - l’Évangile même nous demande de ne pas juger et de ne pas condamner (cf. Mt 7,1 ; Lc 6,37).

    Congrès ecclésial du diocèse de Rome, basilique Saint Jean-du-Latran, jeudi 16 juin 2016




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