La miséricorde
En ce 33ème
dimanche, qui inaugure la dernière semaine de l’année jubilaire
de la miséricorde, nous vous proposons cette méditation du pape
François, prononcée le 3 novembre 2016 lors d’une audience pour
des croyants engagés dans des œuvres de charité et de miséricorde.
Le thème de la miséricorde est familier à
beaucoup de traditions religieuses et culturelles, où la compassion
et la non-violence sont essentielles, et indiquent la voie de la
vie : “Le rigide et le dur appartiennent à la mort. Le souple
et le tendre appartiennent à la vie“, dit un ancien dicton de
sagesse (Tao-Te-Ching, 76).
Se pencher
avec une tendresse
pleine de compassion
sur l’humanité faible et démunie appartient à une âme
vraiment religieuse, qui repousse la
tentation de dominer par la force, qui refuse de faire de la vie
humaine une marchandise, et voit dans
les autres des frères, mais jamais
des numéros. Se faire proche
de ceux qui vivent des situations qui requièrent davantage
d’attention, comme la maladie, le handicap, la pauvreté,
l’injustice, les conséquences des conflits et des migrations, est
un appel qui vient du cœur de toute tradition authentiquement
religieuse. C’est l’écho de la
voix divine qui parle
à la conscience de chacun, invitant
à surmonter le repli sur soi
et à s’ouvrir :
s’ouvrir à l’Autre au-dessus de
nous, qui frappe à la porte du
cœur, s’ouvrir à l’autre à
côté de nous, qui frappe à la
porte de la maison, demandant de l’attention et de l’aide.
La signification du terme “miséricorde“
nous invite à avoir un cœur ouvert
et plein de compassion.
Dans son étymologie en langue latine, il évoque un “cœur“
sensible à la “misère“ - et surtout aux miséreux -, un cœur
vainqueur de l’indifférence parce qu’il se laisse toucher par la
souffrance d’autrui. Dans les langues sémitiques comme l’arabe
et l’hébreux, la racine r(a)h(a)m
- qui exprime aussi la miséricorde
divine -, rappelle le
sein maternel, les
entrailles des sentiments les plus
intimes de l’être humain, les sentiments de la mère pour son
enfant qu’elle va mettre au monde.
À ce propos, le prophète Isaïe transmet un
message magnifique, qui est à la fois une promesse d’amour et une
sorte de défi de la part de Dieu à l’égard de l’homme :
« Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de
tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle
l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas » (Is
49,15). L’homme - il est triste
de le constater - oublie trop souvent, ou plutôt, comme l’indique
le mot en italien, s-corda,
“éloigne du cœur“. Il tient à distance Dieu, le prochain, et
même la mémoire du passé, et il répète ainsi, même sous une
forme plus atroce, les erreurs tragiques commises en d’autres
temps.
C’est le drame du mal, des abîmes obscurs
dans lesquels notre liberté peut sombrer, tentée par le Mal qui est
toujours posté en silence pour nous atteindre et nous faire couler.
Mais c’est justement ici, devant la
grande énigme du mal qui interroge
toutes les expériences religieuses, que réside l’aspect
le plus surprenant de l’amour miséricordieux :
il ne laisse pas l’homme en proie au mal ou à lui-même. Il
n’oublie pas, mais il se souvient et se penche vers toutes les
misères pour soulager, exactement comme
le fait une mère qui, devant le
pire des maux commis par son fils, reconnaît
toujours, au-delà
du péché, le
visage qu’elle a porté en son
sein.
Dans un monde agité et avec peu de mémoire,
qui court en en laissant beaucoup en arrière, et sans se rendre
compte qu’il est essoufflé et sans but, nous avons aujourd’hui
besoin, comme de l’oxygène, de cet
amour gratuit qui renouvelle la vie.
L’homme a soif de miséricorde,
et il n’y a pas de technologie qui puisse le désaltérer. Il
cherche une affection qui aille
au-delà des consolations momentanées, un port sûr où faire
aborder son bateau sans crainte, une
étreinte infinie qui pardonne et réconcilie.
C’est tellement important, devant la crainte
aujourd’hui diffuse qu’il ne soit pas possible d’être
pardonné, réhabilité, et racheté de ses propres fragilités. Pour
nous catholiques, parmi les rites les plus importants de l’Année
jubilaire, il y a celui de franchir,
avec humilité
et confiance,
une porte
- la porte sainte -, pour être pleinement
réconciliés par la miséricorde divine qui remet nos dettes.
Mais cela demande que nous aussi nous
pardonnions à nos débiteurs (cf.
Mt 6,12), les frères et sœurs
qui nous ont offensés : on
reçoit le pardon de Dieu pour
le partager avec les autres. Le
pardon est certainement le
plus grand don que nous puissions
faire aux autres parce qu’il est celui qui coûte le plus, mais en
même temps celui qui nous rend le
plus semblables à Dieu.
Discours du pape François
Chers amis,
Je vous souhaite cordialement la bienvenue. Je
me réjouis de vous rencontrer et je vous remercie d’avoir
accueilli cette invitation à réfléchir ensemble sur le thème de
la miséricorde.
Comme vous le savez bien, nous approchons du
terme de l’Année sainte, pendant laquelle l’Église catholique a
regardé intensément le cœur du message chrétien dans la
perspective de la miséricorde. En effet, celle-ci est pour nous
révélatrice du nom de Dieu, elle est « l’architrave qui
soutient la vie de l’Église » (Misericordiae Vultus, 10) et
elle est la clé pour accéder au mystère même de l’homme, qui a
aujourd’hui encore tellement besoin de pardon et de paix.
Toutefois, le mystère de la miséricorde ne
doit pas être seulement célébré par des paroles, mais surtout par
les œuvres, par un style de vie réellement miséricordieux, fait
d’amour désintéressé, de service fraternel, de partage sincère.
C’est le style que l’Église désire principalement assumer, y
compris « dans sa tâche de favoriser l’unité et la charité
entre les hommes » (Conc. Vat. II, Nostra aetate, 1). C’est
le style auquel sont aussi invitées les religions pour être,
particulièrement en notre temps, messagères de paix et artisans de
communion ; pour proclamer, différemment de ceux qui alimentent
affrontements, divisions et fermetures, qu’aujourd’hui est le
temps de la fraternité. C’est pourquoi il est important de
rechercher la rencontre entre nous, une rencontre qui, sans
syncrétismes conciliants « nous rende plus ouverts au dialogue
pour mieux nous connaître et nous comprendre, qui élimine toute
forme de fermeture et de mépris et qui chasse toute forme de
violence et de discrimination » (Misericordiae Vultus, 23).
Cela plaît à Dieu et c’est une tâche urgente, en réponse non
seulement aux nécessités d’aujourd’hui, mais surtout à l’appel
à aimer, âme de toute expression religieuse authentique.
Le thème de la miséricorde est familier à
beaucoup de traditions religieuses et culturelles, où la compassion
et la non-violence sont essentielles et indiquent la voie de la vie :
« Le rigide et le dur appartiennent à la mort ; le mou et
le tendre appartiennent à la vie », atteste un ancien dicton
de sagesse (Tao-Te-Ching, 76). Se pencher avec une tendresse pleine
de compassion sur l’humanité faible et démunie appartient à une
âme vraiment religieuse, qui repousse la tentation de dominer par la
force, qui refuse de faire de la vie humaine une marchandise et voit
dans les autres des frères, jamais des numéros. Se faire proche de
ceux qui vivent des situations qui requièrent davantage d’attention,
comme la maladie, le handicap, la pauvreté, l’injustice, les
conséquences des conflits et des migrations, est un appel qui vient
du cœur de toute tradition authentiquement religieuse. C’est
l’écho de la voix divine qui parle à la conscience de chacun,
invitant à surmonter le repli sur soi et à s’ouvrir :
s’ouvrir à l’Autre au-dessus de nous, qui frappe à la porte du
cœur ; s’ouvrir à l’autre à côté de nous, qui frappe à
la porte de la maison, demandant de l’attention et de l’aide.
La signification du terme « miséricorde »
nous invite à avoir un cœur ouvert et plein de compassion. Dans son
étymologie en langue latine, il évoque un cœur sensible aux
misères et surtout au miséreux, un cœur vainqueur de
l’indifférence parce qu’il se laisse impliquer par la souffrance
d’autrui. Dans les langues sémitiques, comme l’arabe et
l’hébreux, la racine r(a)h(a)m, qui exprime aussi la miséricorde
divine, rappelle le sein maternel, les entrailles des sentiments les
plus intimes de l’être humain, les sentiments de la mère pour son
enfant qu’elle va mettre au monde.
À ce propos, le prophète Isaïe transmet un
message magnifique qui est à la fois une promesse d’amour et une
sorte de défi de la part de Dieu à l’égard de l’homme :
« Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de
tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle
l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49,15).
L’homme – il est triste de le constater – oublie trop souvent,
« s-corda » ou plutôt, comme l’indique ce mot [en
italien], éloigne du cœur. Il tient à distance Dieu, le prochain
et même la mémoire du passé et il répète ainsi, même sous une
forme plus atroce, les erreurs tragiques commises en d’autres
temps.
C’est le drame du mal, des abysses obscurs
dans lesquels notre liberté peut s’immerger, tentée par le mal,
qui est toujours posté en silence pour nous atteindre et nous faire
couler. Mais justement ici, devant la grande énigme du mal, qui
interroge toutes les expériences religieuses, réside l’aspect le
plus surprenant de l’amour miséricordieux. Il ne laisse pas
l’homme en proie au mal ou à lui-même ; il n’oublie pas
mais il se souvient, et se penche vers toutes les misères pour
soulager. Exactement comme le fait une mère qui, devant le pire des
maux commis par son fils, reconnaît toujours, au-delà du péché,
le visage qu’elle a porté en son sein.
Dans un monde agité et avec peu de mémoire,
qui court en en laissant beaucoup en arrière et sans se rendre
compte qu’il est essoufflé et sans but, nous avons aujourd’hui
besoin, comme de l’oxygène, de cet amour gratuit qui renouvelle la
vie. L’homme a soif de miséricorde et il n’y a pas de
technologie qui puisse le désaltérer : il cherche une
affection qui aille au-delà des consolations momentanées, un port
sûr où faire aborder son bateau sans crainte, une étreinte infinie
qui pardonne et réconcilie.
C’est tellement important, devant la crainte,
aujourd’hui diffuse, qu’il ne soit pas possible d’être
pardonné, réhabilité et racheté de ses propres fragilités. Pour
nous, catholiques, parmi les rites les plus importants de l’Année
jubilaire, il y a celui de franchir, avec humilité et confiance, une
porte, la porte sainte, pour être pleinement réconciliés par la
miséricorde divine qui remet nos dettes. Mais cela demande que nous
aussi nous pardonnions à nos débiteurs (cf. Mt 6,12), les frères
et sœurs qui nous ont offensés : on reçoit le pardon de Dieu
pour le partager avec les autres. Le pardon est certainement le plus
grand don que nous puissions faire aux autres, parce qu’il est
celui qui coûte le plus, mais en même temps celui qui nous rend le
plus semblables à Dieu.
La miséricorde s’étend aussi au monde qui
nous entoure, à notre maison commune, que nous sommes appelés à
garder et à préserver de la consommation effrénée et vorace.
Notre engagement est nécessaire pour éduquer à la sobriété et au
respect, à un mode de vie plus simple et ordonné, où l’on
utilise les ressources de la création avec sagesse et modération,
en pensant à l’humanité entière et aux générations futures, et
pas seulement aux intérêts de son propre groupe et au bénéfice de
sa propre époque. Aujourd’hui en particulier, « la gravité
de la crise écologique exige que tous nous pensions au bien commun
et avancions sur un chemin de dialogue qui demande patience, ascèse
et générosité » (Lett. enc. Laudato si’, 201).
Que cette voie soit notre voie maîtresse ;
que soient rejetées les chemins sans but de l’opposition et de la
fermeture. Qu’il n’arrive plus que les religions, à cause du
comportement de certains de leurs disciples, transmettent un message
sur une fausse note, dissonant avec celui de la miséricorde.
Malheureusement, il ne se passe pas de jour sans que l’on entende
parler de violences, de conflits, de viols, d’attaques terroristes,
de victimes et de destructions. Et il est terrible que, pour
justifier de telles barbaries, le nom d’une religion ou de Dieu
lui-même soit parfois invoqué. Que soient condamnés de façon
claire ces comportements iniques qui profanent le nom de Dieu et qui
polluent la recherche religieuse de l’homme. Que soient au
contraire favorisées, partout, la rencontre pacifique entre les
croyants et une réelle liberté religieuse. En ceci, notre
responsabilité devant Dieu, l’humanité et l’avenir est grande
et requiert tous les efforts, sans aucun faux-semblant. C’est un
appel qui nous implique, un chemin à parcourir ensemble pour le bien
de tous, dans l’espérance. Que les religions soient des entrailles
de vie, qui portent la tendresse miséricordieuse de Dieu à
l’humanité blessée et démunie ; qu’elles soient des
portes d’espérance qui aident à franchir les murs érigés par
l’orgueil et par la peur. Merci !
le 3 novembre
2016. Dans le cadre de l’Année jubilaire, le pape François
a reçu en audience des croyants engagés dans des œuvres de charité
et de miséricorde, au Vatican.
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