Convertir l’arrogance du temps de l’horloge en la beauté des rythmes de la vie
Dans le récit biblique des généalogies des ancêtres,
on est immédiatement frappé par leur énorme longévité : on parle de siècles !
Quand la vieillesse commence-t-elle alors ? On se demande. Et quelle est
la signification du fait que ces patriarches vivent si longtemps après avoir
engendré leurs enfants ? Pères et fils vivent ensemble, pendant des siècles !
Cette cadence séculaire du temps, racontée dans un style rituel, donne au
rapport entre longévité et généalogie une signification symbolique forte.
C’est comme si la transmission de la vie humaine, si
nouvelle dans l’univers créé, exigeait une initiation lente et
prolongée. La vie nouvelle humaine, plongée dans la tension entre son origine
« à l’image et à la ressemblance » de Dieu, et la fragilité de sa
condition mortelle, représente une nouveauté à découvrir. Elle nécessite un
long temps d’initiation, où le soutien mutuel entre les générations est indispensable
afin de décrypter les expériences et d’affronter les énigmes de la vie. Pendant
cette longue période, lentement se cultive aussi la qualité spirituelle de
l’homme.
La vieillesse impose certes des rythmes plus lents,
mais ce ne sont pas seulement des temps d’inertie. La mesure de ces rythmes
ouvre en effet, pour tous, des espaces de sens de la vie inconnus de
l’obsession de la vitesse. Perdre le contact avec les rythmes lents de la
vieillesse ferme ces espaces pour tous. Le dialogue est nécessaire entre les
générations : s’il n’y a pas de dialogue entre jeunes, vieux, et adultes,
chaque génération reste isolée et ne peut pas transmettre le message.
Un jeune qui n’est pas lié à ses racines qui sont ses
grands-parents, ne reçoit pas la force - comme l’arbre reçoit la force des
racines - et il grandit mal, il grandit sans références. C’est pourquoi il est
nécessaire de rechercher, comme un besoin humain, le dialogue entre les
générations, et particulièrement entre grands-parents et petits-enfants, qui
sont les deux extrêmes.
Imaginons une ville dans laquelle la coexistence des
divers âges ferait partie intégrante de la conception globale de l’habitat :
le chevauchement des générations deviendrait une source d’énergie pour un
humanisme réellement visible et vivable.
La ville moderne a tendance à être hostile aux
personnes âgées - et ce n’est pas un hasard si elle l’est également aux
enfants. Cette société est marquée par l’esprit de rejet. Elle rejette beaucoup
d’enfants non désirés, et elle rejette les vieux : elle les rejette parce qu’ils
ne servent à rien, on les met à la maison de retraite, la maison pour les vieux…
L’excès de vitesse nous met dans une centrifugeuse qui
nous emporte comme des confettis. Chacun s’accroche à son petit morceau,
flottant sur les flux de la ville marchande où les rythmes lents sont des
pertes, et la vitesse de l’argent. Mais la vitesse excessive pulvérise la vie -
elle ne la rend pas plus intense.
La sagesse exige de perdre du temps. Quand tu rentres
à la maison et que tu vois ton fils, ta fille, tu “perds du temps“, mais cette
conversation est fondamentale pour la société. Et quand tu rentres à la maison
et qu’il y a le grand-père et la grand-mère qui peut-être ne raisonne pas bien,
ou a perdu un peu la capacité de parler, et que tu es avec lui ou elle,
tu “perds du temps“ , mais cette manière de “perdre du temps“
renforce la famille humaine. Il faut passer du temps, du temps qui n’est pas
rétribué, avec les enfants et avec les personnes âgées, car ils nous donnent
une autre capacité de voir la vie.
À chacun d’entre vous, je demande : Sais-tu perdre du
temps, ou es-tu toujours pressé par la vitesse ? - Non, je suis pressé, je ne
peux pas… Sais-tu perdre du temps avec les grands-parents, avec les personnes
âgées ? Sais-tu perdre du temps en jouant avec tes enfants, avec les enfants ?
C’est la pierre de touche.
La voie de l’obsession de la vitesse consume la vie.
Les rythmes de la vieillesse sont une ressource indispensable pour saisir le
sens d’une vie marquée par le temps. Les personnes âgées ont leurs propres
rythmes, mais ce sont des rythmes qui nous aident. Grâce à cette médiation, la
destination de la vie à la rencontre avec Dieu devient plus crédible : un
dessein qui est caché dans la création de l’être humain « à son image et à
sa ressemblance » et qui est scellé dans le Fils de Dieu fait homme.
Le sens de la vie n’est pas seulement à l’âge adulte,
de 25 à 60 ans environ, non ! Le sens de la vie est entier, de la
naissance à la mort, et tu devrais être capable d’interagir avec tout le monde,
d’avoir des liens affectifs avec tout le monde. Ainsi ta maturité sera plus
riche, plus forte.
Une réforme est urgente : l’arrogance du temps de
l’horloge doit être convertie en la beauté des rythmes de la vie. Convertir
l’arrogance du temps, qui nous presse toujours, aux vrais rythmes de la vie, c’est
la réforme que nous devons faire dans nos cœurs, dans la famille et dans la
société.
L’alliance des générations est indispensable. Une
société où les vieux ne parlent pas aux jeunes, les jeunes ne parlent pas avec
les vieux, les adultes ne parlent ni aux vieux ni aux jeunes, c’est une société
stérile, sans avenir, une société qui ne regarde pas vers l’horizon mais qui se
regarde elle-même.
Que Dieu nous aide à trouver la bonne musique pour
cette harmonisation des différents âges : les jeunes, les vieux, les adultes,
tous ensemble : une belle symphonie de dialogue.
Audience générale du mercredi 2 mars 2022
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