Ne laissons plus la mort voler notre existence
De
nombreux écrivains ont évoqué la beauté des nuits illuminées par les étoiles.
Au contraire, les nuits de la guerre sont striées par les traînées lumineuses
de la mort. En cette nuit, frères et sœurs, laissons les femmes de l'Évangile
nous prendre par la main, pour découvrir avec elles l’aube de la lumière de
Dieu qui brille dans les ténèbres du monde.
Ces
femmes, alors que la nuit décline et que les premières lueurs de l'aube
pointent sans bruit, se rendent au tombeau pour oindre le corps de Jésus. Et là,
elles font une expérience bouleversante : elles découvrent d’abord que le
tombeau est vide. Elles voient ensuite deux personnages aux vêtements
éblouissants, qui leur annoncent que Jésus est ressuscité, et aussitôt elles
courent annoncer la nouvelle aux autres disciples ( Lc 24, 1-10).
Elles voient, elles écoutent, elles annoncent. Par ces
trois actions, entrons nous aussi dans la Pâque du Seigneur.
Les
femmes voient. La première annonce de la Résurrection n'est pas
exprimée comme une formule à comprendre, mais comme un signe à contempler. Dans
un cimetière, auprès d'un tombeau, où tout devrait être en ordre et tranquille,
les femmes « trouvèrent la pierre roulée sur le côté du tombeau. Elles
entrèrent, mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus ». La Pâque
commence donc par bouleverser nos schémas. Elle est accompagnée par le don
d'une espérance surprenante, mais il n'est pas facile de l'accueillir. Parfois,
nous devons l'admettre, cette espérance ne trouve pas de place dans notre cœur.
Comme les femmes de l'Évangile, les questions et les doutes prédominent en
nous, et notre première réaction à ce signe inattendu est la peur, « le
visage incliné vers le sol » (cf. v. 4-5).
Trop
souvent, nous regardons la vie et la réalité avec les yeux tournés vers le bas.
Nous ne fixons que l'aujourd'hui qui passe, nous sommes sans illusions quant à
l'avenir, nous nous enfermons dans nos besoins, nous nous installons dans la
prison de l'apathie, tout en continuant à nous plaindre et à penser que les
choses ne changeront jamais. Ainsi, nous restons immobiles devant la tombe de
la résignation et du fatalisme, et nous enterrons la joie de vivre. Pourtant,
le Seigneur, en cette nuit, veut nous donner des yeux différents, éclairés par
l'espoir que la peur, la douleur et la mort n'auront pas le dernier mot sur
nous.
Grâce
à la Pâque de Jésus, nous pouvons faire le saut du néant à la vie, et la
mort ne pourra plus nous voler notre existence : elle a été complètement et
pour toujours embrassée par l'amour sans limite de Dieu. Il est vrai qu'elle
peut nous effrayer et nous paralyser. Mais le Seigneur est ressuscité ! Levons
les yeux, enlevons le voile d'amertume et de tristesse de nos yeux,
ouvrons-nous à l'espérance de Dieu !
Deuxièmement, les
femmes écoutent. Après
qu'elles aient vu le tombeau vide, deux hommes en vêtements brillants leur disent
: « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici,
il est ressuscité ». Cela nous fait du bien d'entendre et de répéter ces mots : il n'est
pas là ! Chaque fois que nous prétendons avoir tout
compris de Dieu et pouvoir le faire entrer dans nos schémas, répétons-nous : il
n'est pas là ! Chaque fois que nous ne le cherchons que dans l'émotion, très
souvent passagère, ou dans un moment de besoin, pour ensuite le mettre de côté
et l'oublier dans les situations concrètes et les choix de chaque jour,
répétons : Il n'est pas là ! Et lorsque nous pensons l'emprisonner dans nos
mots, dans nos formules et dans nos habitudes, mais que nous oublions de le
chercher dans les coins les plus sombres de la vie, là où il y a ceux qui
pleurent, qui luttent, souffrent et espèrent, répétons-le : il n'est pas là !
Écoutons
aussi la question posée aux femmes : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant
parmi les morts ? ». Nous ne pouvons pas célébrer Pâques si nous
continuons à rester dans la mort, si nous restons prisonniers du passé, si dans
la vie nous n'avons pas le courage de nous laisser pardonner par Dieu qui
pardonne tout, le courage de changer, de rompre avec les œuvres du mal, de nous
décider pour Jésus et son amour. Si nous nous continuons à réduire la foi à une
amulette, faisant de Dieu un beau souvenir du passé, au lieu de le rencontrer
aujourd'hui comme le Dieu vivant qui veut nous transformer et transformer le
monde. Un christianisme qui cherche le Seigneur parmi les reliques du passé et
l'enferme dans la tombe de l'habitude est un christianisme
sans Pâques.
Le
Seigneur est ressuscité ! Alors ne nous attardons pas autour des tombes, mais
allons le redécouvrir, Lui, le Vivant ! Et n'ayons pas peur de le chercher
aussi dans les visages de nos frères et sœurs, dans l'histoire de ceux qui
espèrent, dans la douleur de ceux qui pleurent et souffrent : Dieu est là !
Finalement, les
femmes annoncent. Qu'annoncent-elles ? La joie de la Résurrection.
Pâques n'arrive pas pour consoler le cœur de ceux qui pleurent la mort de
Jésus, mais pour l’ouvrir en grand à l'annonce extraordinaire de la victoire de
Dieu sur le mal et la mort. La lumière de la Résurrection ne veut donc pas
maintenir les femmes dans l'extase d’une délectation personnelle, elle ne
tolère pas les attitudes sédentaires, mais engendre des disciples missionnaires
qui « reviennent du tombeau » (cf. v. 9) et portent à tous l'Évangile
du Ressuscité. C'est pourquoi, après avoir vu et entendu, les femmes courent
annoncer aux disciples la joie de la Résurrection. Elles savent qu'on pourra
les prendre pour des folles - à tel point que l'Évangile dit que leurs
« propos semblèrent délirants » -, mais elles ne se soucient pas de
leur réputation, de défendre leur image. Elles ne mesurent pas leurs
sentiments, elles ne calculent pas leurs paroles. Elles ont seulement le feu
dans le cœur pour porter la nouvelle, l’annonce : “Le Seigneur est
ressuscité !”.
Comme
elle est belle, une Église qui court ainsi dans les rues du monde ! Sans peur,
sans tactique et sans opportunisme, seulement avec le désir d'apporter à tous
la joie de l'Évangile. C'est à cela que nous sommes appelés : faire
l'expérience du Seigneur ressuscité, et la partager avec d'autres. Rouler la
pierre du tombeau dans lequel nous avons souvent scellé le Seigneur, pour
répandre sa joie dans le monde.
Faisons
ressusciter Jésus, le Vivant, des tombeaux dans lesquels nous l'avons enfermé,
libérons-le des formalités dans lesquelles nous l'avons souvent emprisonné. Réveillons-nous
du sommeil de la vie tranquille dans lequel nous l'avons parfois allongé - afin
qu'il ne nous dérange et ne nous incommode plus. Amenons-le dans notre vie
quotidienne : par des gestes de paix en ce temps marqué par les horreurs de la
guerre, par des œuvres de réconciliation dans les relations brisées, et de
compassion pour ceux qui sont dans le besoin, par des actions de justice au
milieu des inégalités et de vérité au milieu des mensonges. Et surtout, par des
œuvres d'amour et de fraternité.
Frères
et sœurs, notre espérance s'appelle Jésus. Il est entré dans le tombeau de
notre péché, il est parvenu jusqu'au point le plus éloigné où nous nous étions
perdus, il a marché dans l'enchevêtrement de nos peurs, il a porté le poids de
nos oppressions, et des profondeurs les plus sombres de notre mort, il nous a
réveillés à la vie et a transformé notre deuil en danse. Célébrons Pâques avec
le Christ ! Il est vivant et aujourd’hui encore, passe, transforme et libère.
Avec lui, le mal n'a plus de pouvoir, l'échec ne peut plus nous empêcher de
recommencer, la mort devient un passage vers le début d'une nouvelle vie, parce
qu’avec Jésus, le Ressuscité, aucune nuit n'est sans fin. Et même dans les
ténèbres les plus épaisses, dans ces ténèbres brille l'étoile du matin.
Homélie
de la Vigile pascale 16 avril 2022
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