Accueillons dans le
concret de notre vie la victoire du Christ
sur le péché et
sur la mort
Le mystère de salut,
déjà à l’œuvre en nous en cette vie terrestre, se présente
comme un processus dynamique qui embrasse également l’histoire, et
la création tout entière. Saint Paul le dit : « La
création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu »
(Rm 8,19).
Si l’homme vit comme
fils de Dieu, s’il vit comme une personne sauvée qui se laisse
guider par l’Esprit Saint (cf. Rm 8,14) et sait reconnaître et
mettre en œuvre la loi de Dieu, en commençant par celle qui est
inscrite en son cœur et dans la nature, alors il fait également du
bien à la Création, en coopérant à sa Rédemption. C’est
pourquoi la création, nous dit Saint Paul, a un désir ardent que
les fils de Dieu se manifestent, à savoir que ceux qui jouissent de
la grâce du mystère pascal de Jésus vivent pleinement de ses
fruits. Ces fruits atteindront leur pleine maturation dans la
rédemption du corps humain : quand la charité du Christ
transfigure la vie des saints - esprit, âme et corps -, ceux-ci
deviennent une louange à Dieu dans laquelle ils emportent aussi
toutes les autres créatures comme le confesse admirablement le
« Cantique des créatures » de saint François d’Assise.
Lorsque nous ne vivons
pas en tant que fils de Dieu, nous mettons souvent en acte des
comportements destructeurs envers le prochain et les autres
créatures, mais également envers nous-mêmes, en considérant plus
ou moins consciemment que nous pouvons les utiliser selon notre bon
plaisir. Si nous ne tendons pas continuellement vers la Pâque, vers
l’horizon de la Résurrection, c’est la logique du “tout et
tout de suite“, du “posséder toujours davantage“ qui finit par
s’imposer.
La cause de tous les
maux, nous le savons, est le péché qui, depuis son apparition au
milieu des hommes, a brisé notre communion avec Dieu, avec les
autres, et avec la création à laquelle nous sommes liés avant tout
à travers notre corps. La rupture de cette communion avec Dieu a
également détérioré les rapports harmonieux entre les êtres
humains et l’environnement où ils sont appelés à vivre, de sorte
que le jardin s’est transformé en un désert (cf. Gn 3,17-18). Il
s’agit là du péché qui pousse l’homme à se tenir pour le dieu
de la création, à s’en considérer comme le chef absolu, et à en
user non pas pour la finalité voulue par le Créateur mais pour son
propre intérêt, au détriment des créatures et des autres.
Quand on abandonne la
loi de Dieu, la loi de l’amour, c’est la loi du plus fort sur le
plus faible qui finit par s’imposer. Le péché qui habite dans le
cœur de l’homme (cf. Mc 7, 20-23) se manifeste sous les traits de
l’avidité, du désir véhément pour le bien-être excessif, du
désintérêt pour le bien d’autrui - et même souvent pour le bien
propre -, et il conduit à l’exploitation de la création, des
personnes et de l’environnement, sous la motion de cette cupidité
insatiable qui considère tout désir comme un droit, et qui tôt ou
tard, finira par détruire même celui qui se laisse dominer par
elle.
La création a un
urgent besoin que se révèlent les fils de Dieu, ceux qui sont
devenus « une création nouvelle » : Si donc quelqu’un
est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien
s’en est allé, un monde nouveau est déjà né» (2 Co 5,17). En
effet, grâce à leur manifestation, la création peut elle
aussi vivre la Pâque : s’ouvrir aux cieux nouveaux et à la terre
nouvelle (cf. Ap 21,1). Le chemin vers Pâques nous appelle
justement à renouveler notre visage et notre cœur de chrétiens à
travers le repentir, la conversion, et le pardon, afin de pouvoir
vivre toute la richesse de la grâce du mystère pascal.
Cette “impatience”,
cette attente de la création s’achèvera lors de la manifestation
des fils de Dieu, à savoir quand les chrétiens et tous les hommes
entreront de façon décisive dans ce labeur qu’est la conversion.
Toute la création est appelée, avec nous, à sortir « de
l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la
gloire donnée aux enfants de Dieu » (Rm 8,21). Le Carême est
un signe sacramentel de cette conversion qui appelle les chrétiens à
incarner de façon plus intense et concrète le mystère pascal dans
leur vie personnelle, familiale et sociale, en particulier en
pratiquant le jeûne, la prière et l’aumône.
Jeûner, c’est-à-dire
apprendre à changer d’attitude à l’égard des autres et des
créatures : de la tentation de tout “dévorer” pour assouvir
notre cupidité, à la capacité de souffrir par amour, laquelle est
capable de combler le vide de notre cœur. Prier afin de
savoir renoncer à l’idolâtrie et à l’autosuffisance de notre
moi, et reconnaître qu’on a besoin du Seigneur et de sa
miséricorde. Pratiquer l’aumône pour se libérer de la
sottise de vivre en accumulant toute chose pour soi, dans l’illusion
de s’assurer un avenir qui ne nous appartient pas. Il s’agit
ainsi de retrouver la joie de goûter le dessein de Dieu sur la
création et sur notre cœur, la joie de L’aimer, d’aimer nos
frères et le monde entier, et de trouver dans cet amour le vrai
bonheur.
Chers frères et sœurs,
le “Carême“ du Fils de Dieu a consisté à entrer dans
le désert de la création, pour qu’il redevienne
le jardin de la communion avec Dieu - celui qui existait
avant le péché originel (cf. Mc 1,12-13; Is 51,3).
Que notre Carême puisse reparcourir le même chemin pour apporter
l’espérance du Christ à la création, afin qu’elle aussi,
« libérée de l’esclavage de la dégradation, puisse
connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu »
(cf. Rm 8,21).
Ne laissons pas passer
en vain ce temps favorable ! En accueillant dans le concret de notre
vie la victoire du Christ sur le péché et sur la mort, nous
attirerons également sur la création sa force transformante.
Du
Vatican, le 4 octobre 2018 Message pour le Carême 2019
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