Les personnes âgées ? les messagers de l’avenir, parce que messagers de la tendresse
Parmi les personnages âgés les plus remarquables des
Évangiles il y a Nicodème, un notable juif, qui désireux de connaître Jésus, s’est
rendu chez lui, mais en secret la nuit (cf. Jn 3, 1-21), et dans la
conversation de Jésus avec Nicodème, émerge le cœur de la révélation de Jésus
et de sa mission rédemptrice : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a
donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais
obtienne la vie éternelle ».
Jésus dit à Nicodème que pour « voir le règne de
Dieu », il faut « naître d’en haut ». Il ne s’agit pas de
répéter notre venue au monde, de renaître physiquement une autre fois, en
espérant nous rouvrir ainsi la possibilité d’une vie meilleure. Cette
répétition n’a pas de sens : elle viderait la vie que nous avons vécue de
tout sens, l’effaçant comme s’il s’agissait d’une expérience ratée, d’une
valeur périmée, d’un vide gaspillé. Non, cette nouvelle naissance dont parle
Jésus, c’est autre chose. Notre vie est précieuse aux yeux de Dieu. À ses yeux,
c’est la vie de créatures aimées par Lui avec tendresse. La « naissance
d’en haut », qui nous permet d'« entrer » dans le règne de Dieu,
est une génération dans l’Esprit, un passage à travers les eaux vers la terre
promise d’une création réconciliée avec l’amour de Dieu. C’est une renaissance
d’en haut, avec la grâce de Dieu.
Nicodème se méprend sur cette naissance, et invoque la
vieillesse comme preuve évidente de son impossibilité : l’être humain vieillit
inévitablement, le rêve d’une jeunesse éternelle s’éloigne définitivement, et l’usure
est le port d’arrivée de toute naissance dans le temps. Comment peut-on
imaginer un destin sous la forme d’une naissance ? Raisonnant ainsi, Nicodème
ne peut pas comprendre les paroles de Jésus. Cette renaissance dont il parle,
qu’est-ce que c’est ?
L’objection de Nicodème est très instructive pour nous,
et nous pouvons la renverser, à la lumière de la parole de Jésus, pour
découvrir une mission propre à la vieillesse. En effet, la vieillesse non seulement
n’est pas un obstacle à la naissance d’en haut dont parle Jésus, mais elle
devient le moment opportun pour l’illuminer, en la libérant du malentendu d’une
espérance perdue. Notre époque et notre culture, qui révèlent une tendance
inquiétante à considérer la naissance d’un enfant comme une simple question de
production et de reproduction biologique de l’être humain, cultivent aussi le
mythe de l’éternelle jeunesse comme l’obsession, désespérée, d’une chair
incorruptible. Pourquoi la vieillesse est-elle, à bien des égards, dépréciée ?
Parce qu’elle porte la preuve irréfutable qui récuse ce mythe, qui voudrait
nous faire retourner dans le ventre de notre mère pour être éternellement
jeunes de corps…
La technique se laisse allécher par ce mythe à tous
égards : en attendant de vaincre la mort, nous pouvons maintenir le corps en
vie grâce aux médicaments et aux cosmétiques, qui ralentissent, cachent,
annulent la vieillesse. Une chose est le bien-être, une autre est d’alimenter
des mythes. La confusion entre les deux conduit à une confusion mentale.
Alors qu’on en fait tant pour retrouver cette jeunesse
apparente - tant de maquillages, tant de chirurgies pour paraître jeune !
- je me souviens des paroles d’une sage actrice italienne, Magnani, lorsqu’on
lui a dit qu’il lui fallait enlever ses rides, et qu’elle a répondu :
« Non, non, ne les touchez pas ! Il a fallu tant d’années pour les obtenir :
ne les touchez pas ! ». C’est beau, non ? Les rides sont un symbole
d’expérience, un symbole de la vie, un symbole de la maturité, un symbole du
chemin parcouru. Ne les touchez pas pour paraître jeune ! Ce qui compte,
c’est toute la personne. Ce qui compte, c’est le cœur, et le cœur a cette
jeunesse du bon vin qui, plus il vieillit, plus se bonifie.
La vie dans la chair mortelle, c’est un espace et un
temps trop fugaces pour garder intacte et mener à son terme la partie la plus
précieuse de notre existence. La foi, qui accueille l’annonce évangélique du
règne de Dieu auquel nous sommes destinés, a un premier effet extraordinaire,
dit Jésus, elle nous permet de « voir » le règne de Dieu : elle
nous donne de voir réellement les nombreux signes annonçant l’accomplissement
de notre destination pour l’éternité de Dieu.
La vieillesse est la condition, accordée à beaucoup
d’entre nous, dans laquelle le miracle de cette naissance d’en haut peut être
intimement assimilé et devenir crédible pour la communauté humaine. Elle ne
communique pas la nostalgie de la naissance dans le temps, mais l’amour pour la
destination finale. Dans cette perspective, la vieillesse a une beauté unique :
nous marchons vers l’Éternité. Le vieil homme marche vers sa destination, vers
le ciel de Dieu, et il marche avec la sagesse de toute une vie.
La vieillesse est donc un moment privilégié pour
libérer l’avenir de l’illusion technocratique d’une survie biologique et
robotique, mais surtout parce qu’elle ouvre à la tendresse du sein créateur et
générateur de Dieu. Ici, je voudrais insister sur ce mot : la tendresse des
personnes âgées. Observez un grand-père ou une grand-mère, comment ils
regardent leurs petits-enfants, comment ils caressent leurs petits-enfants. Cette
tendresse, qui a surmonté les épreuves humaines et qui est capable de donner
gratuitement l’amour, la proximité amoureuse pour les autres, cette tendresse
ouvre la porte pour comprendre la tendresse de Dieu.
N’oublions pas que l’Esprit de Dieu est proximité,
compassion et tendresse. Dieu est ainsi, il sait caresser. Et la vieillesse
nous aide à comprendre cette dimension de Dieu qu’est la tendresse. La
vieillesse est le moment privilégié pour libérer l’avenir de l’illusion
technocratique, c’est le moment de la tendresse de Dieu qui crée, trace un
chemin pour nous tous.
Que l’Esprit nous accorde la réouverture de cette
mission spirituelle - et culturelle - de la vieillesse, qui nous réconcilie
avec la naissance d’en haut. Lorsque nous pensons à la vieillesse de cette
manière, nous nous disons alors : Comment se fait-il que cette culture du
déchet décide de se débarrasser des personnes âgées, en les considérant comme
non utiles ? Les personnes âgées sont les messagers de l’avenir, ce sont les
messagers de la tendresse, les messagers de la sagesse d’une vie assumée.
Audience du mercredi 8 juin 2022
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