Les paroles de bien engendrent une histoire de bien
La Parole de Dieu de ce dimanche peut nous aider à
redécouvrir deux verbes simples, deux verbes essentiels pour la vie de chaque
jour : dire et donner.
D’abord : dire. Dans la première Lecture, Melchisédech
dit : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut
et béni soit le Dieu très-haut » (Gn 14,
19-20). C’est-à-dire que le dire de Melchisédech est de bénir
- c’est un bien-dire. Il bénit Abraham, celui en qui seront bénies
toutes les familles de la terre. Tout part de la bénédiction : les
paroles de bien engendrent une histoire de bien. On voit la même chose dans
l’Évangile : avant de multiplier les pains, Jésus les bénit :
« il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au
ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les
donna à ses disciples » (Lc 9, 16). La bénédiction fait des
cinq pains la nourriture pour une multitude : elle fait jaillir une cascade
de bien.
Pourquoi bénir fait-il du bien ? Parce que c’est transformer
la parole en don. Quand on bénit, on ne fait pas quelque chose pour soi,
mais pour les autres. Bénir n’est pas dire de belles paroles, ce n’est pas
utiliser des paroles de circonstance. Non, c’est dire du bien, dire avec amour.
Melchisédech a fait ainsi en disant spontanément du bien d’Abraham, sans que
celui-ci ait dit ou fait quelque chose pour lui. Ainsi a fait Jésus, en
montrant la signification de la bénédiction par la distribution gratuite des
pains.
Combien de fois nous aussi avons été bénis, à l’église
ou dans nos maisons. Combien de fois nous avons reçu des paroles qui nous ont
fait du bien, ou un signe de croix sur le front… Nous sommes devenus bénis le
jour de notre Baptême, et à la fin de chaque messe nous sommes bénis.
L’Eucharistie est une école de bénédiction. Dieu dit du bien de nous, ses
enfants aimés. Il nous encourage ainsi à aller de l’avant, et nous bénissons
Dieu dans nos assemblées en retrouvant le goût de la louange qui libère et qui guérit
le cœur. Nous venons à la messe avec la certitude d’être bénis par le Seigneur,
et nous sortons pour bénir à notre tour, pour être des canaux de bien dans le
monde.
Soyons vigilants, ne nous laissons pas contaminer par
l’arrogance, ne nous laissons pas envahir par l’amertume, nous qui mangeons le
Pain qui porte en soi toute douceur (cf. Sg 16, 20). Le peuple de
Dieu aime la louange - il ne vit pas de plaintes. Il est fait pour les
bénédictions, non pour les lamentations. Devant l’Eucharistie, Jésus qui s’est
fait Pain, ce Pain humble qui contient le tout de l’Église,
apprenons à bénir ce que nous avons, à louer Dieu, à bénir et à ne pas maudire
notre passé, à offrir de bonnes paroles aux autres.
Le second verbe est donner. Au “dire” fait
suite le “donner”, comme Abraham qui, béni par Melchisédech, « lui donna
le dixième de tout ce qu’il avait ». Comme pour Jésus qui, après avoir
récité la bénédiction, donne le pain pour qu’il soit
distribué, en dévoilant ainsi la signification la plus belle : le pain
n’est pas seulement un produit de consommation, c’est un moyen de partage. En
fait, de manière surprenante, dans le récit de la multiplication des pains, on
ne parle jamais de multiplier. Mais les verbes utilisés sont : “rompre,
donner, distribuer” (cf. Lc 9, 16). En somme, on ne souligne
pas la multiplication, mais le partage. C’est-à-dire que Jésus ne fait pas de
magie, il ne transforme pas les cinq pains en cinq mille pour dire après :
Maintenant distribuez-les. Non, Jésus prie, bénit ces cinq pains, et commence à
les rompre en se confiant au Père - et ces cinq pains ne finissent plus. Mais ce
n’est pas de la magie, c’est la confiance en Dieu et en sa Providence…
Dans le monde, on cherche toujours à augmenter les
gains, à gonfler les factures… Oui, mais à quelle fin ? C’est le donner,
ou l’avoir ? Le partager, ou l’accumuler ? L’“économie” de l’Évangile
multiplie en partageant, nourrit en distribuant, ne satisfait pas la voracité
de quelques-uns, mais donne la vie au monde. Le verbe de Jésus, ce n’est
pas avoir, mais donner !
Elle est péremptoire la demande qu’il fait à ses
disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Ce que nous
avons porte du fruit si nous le donnons, voilà ce que veut nous dire Jésus, et
peu importe que cela soit peu ou beaucoup. Le Seigneur fait de grandes choses
avec notre petitesse, comme avec les cinq pains. Il n’accomplit pas de prodiges
par des actions spectaculaires, il n’a pas de baguette magique, mais il agit
avec des choses humbles. Dieu est une toute-puissance humble, faite seulement
d’amour, et l’amour fait de grandes choses avec des petites choses.
L’Eucharistie nous l’enseigne : là, il y a Dieu
contenu dans un morceau de pain. Simple, essentiel, ce Pain rompu et partagé
qu’est l’Eucharistie que nous recevons nous enseigne sur le mode de pensée de
Dieu, et nous amène à nous donner nous-mêmes aux autres. C’est l’antidote
contre le : “Ça me plaît, mais ça ne me regarde pas”, contre le : “Je
n’ai pas de temps, je ne peux pas, ce n’est pas mon affaire”, contre le fait de
fermer les yeux.
Dans notre ville affamée d’amour et d’attention, qui
souffre de dégradation et d’abandon, face à de nombreuses personnes âgées
seules, à des familles en difficulté, à des jeunes qui ont du mal à gagner leur
vie et à réaliser leurs rêves, le Seigneur te dit : « Donne-leur
toi-même à manger ». Bien sûr tu peux répondre : J’ai peu de choses,
je n’en suis pas capable. Mais ce n’est pas vrai. Ton peu de choses est
beaucoup aux yeux de Jésus si tu ne le gardes pas pour toi, si tu le mets en
jeu - et toi aussi, mets-toi en jeu. Et tu n’es pas seul : tu as
l’Eucharistie, le Pain de la route, le Pain qu’est Jésus.
Ce soir même, nous serons nourris par son Corps donné.
Si nous l’accueillons avec le cœur, ce Pain libèrera en nous la force de
l’amour. Nous nous découvrirons bénis et aimés, et nous voudrons bénir et aimer
en commençant par ici, par notre ville, par les rues que ce soir nous
emprunterons. Le Seigneur vient dans nos rues pour dire du bien - dire
du bien de nous -, et pour donner - nous donner du
courage, et il nous demande d’être bénédiction et don.
Solennité
du Corps et du Sang de Notre Seigneur Jésus Christ, dimanche 23 juin 2019
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