20 janvier 2018

Du Pape François

Ils n’ont plus de vin ? Faites tout ce qu’Il vous dira !


« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée” (Jn 2, 11), ainsi s’achève l’Évangile que nous venons d’écouter, et qui fait le récit de la première apparition publique de Jésus : lors d’une fête.
Il ne pouvait en être autrement puisque l’Évangile est une constante invitation à la joie. Dès le début, l’ange dit à Marie : « Réjouis-toi » (Lc 1, 28). Réjouissez-vous, dit-il aux bergers, réjouis-toi, dit-il à Élisabeth, femme âgée et stérile… Réjouis-toi, fait entendre Jésus au bon larron, car « aujourd’hui tu seras avec moi au paradis » (cf. Lc 23, 43).
Le message de l’Évangile est source de joie : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit complète » (Jn 15, 11). Une joie qui se transmet de génération en génération, et dont nous sommes les héritiers parce que nous sommes chrétiens.
Comme vous savez accueillir la joie, chers frères du nord du Chili ! Comme vous savez vivre la foi et la vie dans un climat de fête ! Je viens en pèlerin célébrer avec vous cette belle manière de vivre la foi. Vos fêtes patronales, vos danses religieuses - qui durent jusqu’à une semaine -, votre musique, vos vêtements, font de cet endroit un sanctuaire de piété et de spiritualité populaires. Car ce n’est pas une fête qui peut se laisser enfermer dans le temple : vous arrivez plutôt à parer toute la population d’habits de fête. Vous savez célébrer, en chantant et en dansant, la paternité de Dieu, sa Providence, la présence amoureuse et constante de Dieu, tout en exerçant la patience, le sens de la croix dans la vie quotidienne, le détachement, l’ouverture aux autres, la dévotion (cf. Paul VI, Evangelii nuntiandi, n. 48). Les paroles du prophète Isaïe prennent vie : « Alors le désert deviendra un verger, et le verger sera pareil à une forêt » (32, 15). Cette terre, gagnée par le désert le plus sec du monde, parvient à se parer pour la fête.
Dans ce climat de fête, l’Évangile nous présente l’intervention de Marie pour que la joie prévale : elle fait attention à tout ce qui se passe autour d’elle, et en tant que bonne mère, elle ne reste pas tranquille. Elle arrive à se rendre compte que pendant la fête, dans la joie partagée, quelque chose est en train de se passer : il y a quelque chose qui est sur le point de faire ‘‘prendre l’eau’’ à la fête ! Et lorsqu’elle s’approche de son Fils, les seules paroles que nous l’entendons prononcer sont : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3).
Eh bien c’est ainsi que Marie marche dans nos villages, dans nos rues, sur nos places, dans nos maisons, dans nos hôpitaux. Elle nous accompagne dans nos ennuis de famille inextricables, ceux-là mêmes qui semblent nous étouffer le cœur, et elle s’approche des oreilles de Jésus et lui dit : Regarde, ils n’ont plus de vin !
Et ensuite, elle ne se tait pas. Elle s’approche de ceux qui servent pour la fête et elle leur dit : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2, 5). Marie, femme de peu de mots, mais bien concrets, s’approche également de chacun de nous rien que pour nous dire : « Ce qu’il vous dira, faites-le ». Et ainsi débute le premier miracle de Jésus : ses amis eux aussi prennent part au miracle, car le Christ “est venu dans ce monde non pas pour agir seul, mais avec nous - le miracle il le fait avec nous -, avec nous tous, pour être la tête d’un corps dont nous sommes, nous, les cellules vivantes, libres et actives“ (San Alberto Hurtado).
Le miracle commence quand les serviteurs s’approchent des jarres qui étaient destinées aux ablutions, et les remplissent. De même chacun d’entre nous peut aussi commencer le miracle, mieux, chacun d’entre nous est invité à prendre part au miracle pour les autres.
Chers frères, Iquique est une terre de rêves (c’est ce que signifie son nom en aymara), une terre ayant su héberger des gens de divers peuples et cultures, qui ont dû quitter leurs proches, s’en aller - une démarche toujours fondée sur l’espérance d’obtenir une vie meilleure, mais nous savons qu’elle est toujours accompagnée de sacs à dos chargés de peur et d’incertitude quant à l’avenir.
Iquique est une zone de migrants qui nous rappelle la grandeur d’hommes et de femmes, de familles entières qui, face à l’adversité, ne se résignent pas et se fraient une voie en quête de vie. Ceux surtout qui ont dû quitter leur terre parce qu’ils ne disposaient pas du minimum nécessaire pour vivre sont une image de la Sainte Famille qui a dû traverser des déserts pour pouvoir survivre.
Cette terre est une terre de rêves, cependant faisons de sorte qu’elle continue d’être également une terre d’hospitalité. Hospitalité festive, car nous savons bien qu’il n’y a pas de joie chrétienne lorsque des portes se ferment, qu’il n’y a pas de joie chrétienne lorsqu’on fait sentir aux autres qu’ils sont de trop, ou que parmi nous ils n’ont pas leur place (cf. Lc 16, 19-31).
Comme Marie à Cana, efforçons-nous d’apprendre à être attentifs, sur nos places et dans nos villages, et à reconnaître ceux dont la vie ‘‘prend l’eau’’, ceux qui ont perdu - ou à qui on a volé - les raisons de célébrer, ceux qui ont le cœur triste. Et n’ayons pas peur d’élever la voix pour dire : « Ils n’ont plus de vin ». Le cri du peuple de Dieu, le cri du pauvre, sous forme de prière qui élargit le cœur, nous enseigne à être attentifs. Soyons attentifs à toutes les situations d’injustice et aux nouvelles formes d’exploitation qui conduisent beaucoup de nos frères à perdre la joie de la fête. Soyons attentifs à la précarisation du travail qui détruit des vies et des foyers. Soyons attentifs à ceux qui tirent profit de la situation irrégulière de beaucoup de migrants, parce qu’ils ne connaissent pas la langue, ou n’ont pas les papiers en ‘‘règle’’. Soyons attentifs au manque de toit, de terre et de travail pour de nombreuses familles. Et comme Marie, disons : Seigneur, ils n’ont plus de vin.
Comme les servants de la fête, apportons ce que nous avons, aussi insignifiant cela semble-t-il. Comme eux, n’ayons pas peur de ‘‘donner un coup de main’’, et que notre solidarité ainsi que notre engagement pour la justice fassent partie de la danse ou du chant que nous pouvons entonner pour notre Seigneur. Profitons-en aussi pour apprendre et nous laisser imprégner par les valeurs, la sagesse et la foi que les migrants portent avec eux, sans nous fermer à ces ‘‘jarres’’ remplies de sagesse et d’histoire que portent ceux qui continuent d’arriver en ces contrées : ne nous privons pas de tout le bien qu’ils ont à offrir.
Et ensuite, laissons Jésus achever le miracle, en transformant nos communautés et nos cœurs en signes vivants de sa présence, qui est joyeuse et festive car nous avons fait l’expérience que « Dieu est avec nous » parce que nous avons appris à l’héberger dans notre cœur. Joie et fête contagieuses, qui nous conduisent à ne laisser aucune personne hors de l’annonce de cette Bonne Nouvelle, à transmettre tout ce qu’il y a dans notre culture d’origine pour enrichir aussi l’autre de tout ce qui est nôtre, de nos traditions, de notre sagesse ancestrale, pour que celui qui vient trouve la sagesse et donne la sagesse. C’est cela la fête, c’est cela l’eau changée en vin, c’est cela le miracle que fait Jésus.
Que Marie continue de susurrer à l’oreille de son Fils Jésus : « Ils n’ont plus de vin », et qu’en nous continuent de se faire chair ses paroles : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ».
Messe du 18 janvier 2018 à Iquique au nord du Chili




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