21 novembre 2020

Du Pape François

 

Mes besoins ? Ou celui qui a besoin, qui est dans le besoin ?


Dans la parabole que venons d’écouter, tout commence par un grand bien : le maître ne garde pas ses richesses pour lui, mais il les confie à ses serviteurs, à qui cinq, à qui deux, à qui un talent - « à chacun selon ses capacités » (Mt 25, 15). On a calculé qu’un seul talent correspondait au salaire d’environ vingt ans de travail, c’était donc un bien surabondant, qui à cette époque suffisait pour toute la vie.

Voilà le début : pour nous aussi, tout a commencé avec la grâce de Dieu - tout, toujours, commence par la grâce, non par nos forces -, par la grâce de Dieu qui est Père et qui a mis dans nos mains beaucoup de biens, en confiant à chacun divers talents. Nous sommes porteurs d’une grande richesse, qui ne dépend pas de ce que nous avons, mais de ce que nous sommes : de la vie reçue, du bien qu’il y a en nous, de la beauté qui ne peut être supprimée et dont Dieu nous a dotés parce que nous sommes à son image. Chacun d’entre nous est précieux à ses yeux, chacun d’entre nous est unique et irremplaçable dans l’histoire, et c’est ainsi que Dieu nous voit, que Dieu nous considère.

Il est toutefois important de rappeler ceci : trop souvent, en regardant notre vie, nous voyons seulement ce qui nous manque, et nous nous plaignons de ce qui manque. Nous cédons alors à la tentation du “si seulement !“ - si seulement j’avais cet emploi, si seulement j’avais cette maison, si seulement j’avais de l’argent et du succès, si seulement je n’avais pas ce problème, si seulement j’avais de meilleures personnes autour de moi !…

Mais l’illusion du “si seulement“ nous empêche de voir le bien et nous fait oublier les talents que nous avons. Oui, tu n’as pas ceci, mais tu as cela, et le “si seulement“ fait que nous l’oublions. Mais Dieu nous a confiés ces talents parce qu’il connaît chacun d’entre nous et il sait de quoi nous sommes capables. Il nous fait confiance, malgré nos fragilités. Il fait aussi confiance à ce serviteur qui cachera le talent : Dieu espère que, malgré ses peurs, lui aussi utilisera bien ce qu’il a reçu. En somme, le Seigneur nous demande d’utiliser le temps présent, sans nostalgie par rapport au passé, mais dans l’attente active de son retour. La nostalgie nous fait regarder toujours en arrière, toujours les autres, mais jamais nos propres mains, les possibilités de travail que le Seigneur nous a données, notre condition - et aussi nos pauvretés…

Nous arrivons ainsi au centre de la parabole : l’œuvre des serviteurs, c’est-à-dire le serviceLe service, c’est ce qui fait fructifier les talents, et donne sens à la vie. Il ne sert à rien de vivre pour celui qui ne vit pas pour servir. Je le répète : Il ne sert à rien de vivre pour celui qui ne vit pas pour servir. Mais quel style de service ? Dans l’Évangile, les bons serviteurs sont ceux qui risquent. Ils ne sont pas circonspects et méfiants, ils ne conservent pas ce qu’ils ont reçu, mais ils l’utilisent. Parce que le bien, s’il n’est pas investi, se perd. Parce que la grandeur de notre vie ne dépend pas de ce que nous mettons de côté, mais du fruit que nous portons.

Que de gens passent leur vie seulement à accumuler, pensant à leur bien-être plutôt qu’à faire du bien. Mais comme elle est vide une vie qui poursuit les besoins, sans regarder qui a besoin ! Si nous avons des dons, c’est pour être, nous, des dons pour les autres. Et là, frères et sœurs, posons-nous la question : Est-ce que je ne suis préoccupé que de mes besoins, ou bien suis-je capable de regarder celui qui a besoin, celui qui est dans le besoin ? Ma main est-elle tendue et ouverte ? Ou bien repliée et fermée ?

Il faut souligner que les serviteurs qui investissent, qui risquent, par quatre fois sont appelés « fidèles » : il n’y a pas de fidélité sans risque. Être fidèles à Dieu c’est dépenser sa vie, c’est laisser bouleverser ses plans par le service : J’ai ce projet - mais permets que ton projet soit bouleversé : toi, sers.

Il ne suffit pas d’observer les règles. La fidélité à Jésus, ce n’est pas seulement de ne pas commettre des erreurs. Ça, c’est négatif. C’est ainsi que pensait le serviteur paresseux de la parabole : privé d’initiative et de créativité, il se cache derrière une peur inutile et il enterre le talent reçu. Le maître le définit même comme « mauvais », pourtant il n’a rien fait de mal ! Oui, mais il n’a rien fait de bien, il a préféré pécher par omission plutôt que risquer de se tromper. Il n’a pas été fidèle à Dieu qui aime à se dépenser, et il lui a fait la pire des offenses : lui restituer le don reçu - “Tu m’as donné cela, je te donne cela, rien de plus”.

Le Seigneur nous invite au contraire à nous mettre généreusement en jeu, à vaincre la crainte par le courage de l’amour, à dépasser cette passivité qui devient complicité. Aujourd’hui, en ces temps d’incertitude, en ces temps de fragilité, ne gaspillons pas la vie en pensant seulement à nous-mêmes, et en optant pour l’indifférence. Ne nous illusionnons pas en disant : « Quelle paix ! Quelle tranquillité ! » (1Th 5, 3). Saint Paul nous invite à regarder la réalité en face, et à ne pas nous laisser contaminer par l’indifférence.

Comment alors servir selon les désirs de Dieu ? Le maître l’explique au serviteur infidèle : « Il fallait placer mon argent à la banque, et à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts ». Qui sont pour nous ces “banquiers“, en mesure de procurer un intérêt durable ? Ce sont les pauvres ! N’oubliez pas : les pauvres sont au centre de l’Évangile. Les pauvres sont un avec Jésus qui étant riche, s’est anéanti lui-même, s’est fait pauvre, s’est fait péché - la pauvreté la plus laide.

Les pauvres nous garantissent un revenu éternel et nous permettent dès maintenant de nous enrichir dans l’amour, parce que la plus grande pauvreté à combattre est notre pauvreté en amour. Je vous le redis : La plus grande pauvreté à combattre est notre pauvreté en amour. Le Livre des Proverbes loue une femme dont la valeur est supérieure aux perles : elle est laborieuse dans l’amour. Il faut imiter cette femme qui, dit le texte, « tend la main au malheureux » (Pr 31, 20) : voilà la grande richesse de cette femme.

Tends la main à celui qui est dans le besoin, au lieu d’exiger ce qui te manque - ainsi tu multiplieras les talents que tu as reçus.


Homélie du 15 novembre 2020 Journée mondiale des pauvres


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