N’aie pas peur, le Seigneur est avec toi
Dans l’Évangile de la solennité d’aujourd’hui,
l’ange Gabriel, par trois fois, prend la parole et s’adresse
à la Vierge Marie.
La première fois, en la saluant, il dit : «
Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ». La raison de se
réjouir, le motif de la joie, est révélé en quelques mots : le
Seigneur est avec toi. Frère, sœur, tu peux entendre ces mêmes paroles
qui te sont adressées aujourd’hui, et tu peux les faire tiennes chaque fois
que tu t’approches du pardon de Dieu, parce que là, le Seigneur te dit :
« Je suis avec toi ». Trop souvent, nous pensons que la Confession
consiste à aller vers Dieu la tête baissée. Mais ce n’est pas d’abord nous
qui revenons au Seigneur, c’est Lui qui vient nous visiter, nous combler de sa
grâce, nous réjouir de sa joie. Se confesser, c’est donner au Père
la joie de nous relever. Au cœur de ce que nous allons vivre, il n’y a pas
nos péchés – et il y en aura - , mais le centre, c’est son pardon. Essayons
d’imaginer si au cœur du sacrement se trouvaient nos péchés. Là, presque tout
dépendrait de nous, de notre repentir, de nos efforts, de notre engagement.
Mais non, au centre, il y a Lui qui nous libère et nous remet debout.
Redonnons le primat à la grâce et
demandons le don de comprendre que la Réconciliation n’est pas d’abord un pas
que nous faisons vers Dieu, mais son étreinte qui nous enveloppe, nous
étonne, nous émeut. C’est le Seigneur qui, comme chez Marie à Nazareth,
entre dans notre maison et apporte un émerveillement et une joie inconnus
jusqu’alors : la joie du pardon. Mettons la perspective de Dieu au premier plan,
et nous retrouverons l’amour de la Confession. Nous en avons besoin car chaque
renaissance intérieure, chaque tournant spirituel commence à partir de là,
du pardon de Dieu. Ne négligeons pas la Réconciliation, mais redécouvrons-la
comme le Sacrement de la joie. Oui, de la joie, parce que le mal
qui nous fait honte devient là une occasion de faire l’expérience de la
chaleureuse étreinte du Père, de la douce force de Jésus qui nous guérit, de
la tendresse maternelle de l’Esprit Saint. Voilà le cœur de la Confession.
Et alors, chers frères et soeurs, continuons à
recevoir le pardon. Et vous, frères qui administrez le pardon de Dieu,
soyez ceux qui offrent à qui s’approche la joie de cette annonce : Réjouis-toi,
le Seigneur est avec toi. Pas de rigidité, pas d’obstacles, pas de
malaise, des portes ouvertes à la miséricorde ! En particulier dans la Confession,
nous sommes appelés à imiter le Bon Pasteur qui prend ses brebis dans ses
bras et les cajole, à être des canaux de grâce qui versent l’eau vive de la
miséricorde du Père dans la sécheresse de nos cœurs. Si un prêtre n’a pas
cette attitude, s’il n’a pas ces sentiments dans son cœur, il vaut mieux qu’il
n’aille pas confesser.
Pour la deuxième fois, l’ange parle à Marie, et alors
qu’elle est troublée par la salutation reçue, il lui dit : « N’aie pas peur
». La première parole est : « Le Seigneur est avec toi », la deuxième
parole est : « N’aie pas peur ». Dans l’Écriture, lorsque Dieu se présente à
qui l’accueille, il aime dire ces mots : N’aie pas peur. Il les dit
à Abraham, il les répète à Isaac, à Jacob, et ainsi de suite, jusqu’à
Joseph, et à Marie : « N’aie pas peur, n’aie pas peur ». Il nous
envoie ainsi un message clair et consolant : à chaque fois que la vie s’ouvre
à Dieu, la peur ne peut plus nous retenir en otage.
Parce que la peur nous retient en otage. Toi, sœur,
frère, si tes péchés t’effraient, si ton passé t’inquiète, si tes
blessures ne guérissent pas, si tes chutes constantes te démoralisent et
qu’il te semble avoir perdu l’espérance, n’aie pas peur. Dieu connaît tes
faiblesses et il est plus grand que tes erreurs. Dieu est plus grand que nos
péchés. Il te demande une chose : tes faiblesses, tes misères, apporte-les
Lui, dépose-les en Lui, et elles se transformeront, de motifs de désolation,
en occasions de résurrection. Alors n’aie pas peur !
Le Seigneur nous demande nos péchés, et il me vient à
l’esprit l’histoire de ce moine du désert, qui avait tout donné à Dieu, tout,
et il menait une vie de jeûne, de pénitence, de prière… Eh bien le Seigneur lui
demandait davantage. « Seigneur, je t’ai tout donné », disait le
moine, « que manque-t-il ? » « Donne-moi tes péchés ! »
C’est ce que le Seigneur nous demande, alors n’aie pas peur.
La Vierge Marie nous accompagne : elle a elle-même
jeté son inquiétude en Dieu. L’annonce de l’ange lui avait donné de
sérieuses raisons d’avoir peur : il lui proposait quelque chose
d’impensable, qui était au-dessus de ses forces, et qu’elle ne pouvait pas
gérer seule - il y aurait trop de difficultés, de problèmes avec la loi de
Moïse, avec Joseph, avec les gens de son village et avec son peuple… Eh bien tout
cela ce sont des difficultés, mais toi, n’aie pas peur.
Marie ne soulève pas d’objection. Ce « n’aie
pas peur » lui suffit, il lui suffit que Dieu la rassure. Elle se
serre contre Lui, comme nous voulons le faire ce soir. Car nous faisons souvent
le contraire : nous partons de nos certitudes et ce n’est que lorsque nous les
perdons que nous allons vers Dieu. La Vierge en revanche, nous enseigne à
partir de Dieu, dans la confiance qu’ainsi tout le reste nous sera donné. Elle
nous invite à aller à la source, au Seigneur qui est le remède radical
contre la peur et le mal de vivre. C’est ce que rappelle une belle phrase de
saint Augustin inscrite sur un confessionnal, ici au Vatican, qui s’adresse à
Dieu en ces termes : S’éloigner de Toi, c’est tomber, revenir à Toi, c’est
se relever, demeurer en Toi, c’est exister.
Ces jours-ci, les nouvelles et les images de mort
continuent d’entrer dans nos foyers, alors que les bombes détruisent les
maisons de beaucoup de nos frères et sœurs ukrainiens sans défense. Cette
guerre odieuse, qui s’est abattue sur tant de personnes et qui fait souffrir
tout le monde, provoque en chacun peur et désarroi. Nous ressentons un sentiment
d’impuissance et d’incapacité. Nous avons besoin que l’on nous dise :
« N’aie pas peur ». Mais les réconforts humains ne suffisent pas, il
faut la présence de Dieu, la certitude du pardon divin, le seul qui supprime
le mal, désamorce la rancœur, redonne la paix au cœur. Revenons à Dieu,
revenons à son pardon.
Pour la troisième fois, l’ange prend la parole.
Maintenant, il dit à la Vierge : « L’Esprit Saint viendra sur toi ». D’abord :
« Le Seigneur est avec toi ». Puis : « N’aie pas peur ». Et la troisième
parole : « L’Esprit Saint viendra sur toi ». C’est ainsi que Dieu
intervient dans l’histoire : en donnant son Esprit. Parce que dans les choses
qui comptent, nos forces ne suffisent pas. Nous ne pouvons pas résoudre seuls
les contradictions de l’histoire, ni même celles de notre cœur. Nous avons
besoin de la force sage et douce de Dieu, qui est le Saint Esprit. Nous avons
besoin de l’Esprit d’amour qui détruit la haine, éteint la rancœur, la
cupidité, qui nous réveille de l’indifférence - cet Esprit qui nous donne
l’harmonie, parce que c’est Lui qui donne l’harmonie.
Nous avons besoin de l’amour de Dieu parce que notre
amour est précaire et insuffisant. Nous demandons beaucoup de choses au
Seigneur, mais nous oublions souvent de lui demander ce qui est le plus
important et ce qu’Il veut nous donner : l’Esprit Saint, la force d’aimer. Car
sans amour, qu’allons-nous offrir au monde ? Quelqu’un a dit qu’un chrétien
sans amour est comme une aiguille qui ne coud pas : elle pique, elle blesse,
mais si elle ne coud pas, si elle ne tisse pas, si elle n’unit pas, elle ne
sert à rien. J’oserais dire : ce n’est pas chrétien. C’est pourquoi nous avons
besoin de puiser dans le pardon de Dieu la force de l’amour, ce même Esprit
qui est descendu sur Marie.
Parce que, si nous voulons que le monde change, nos
cœurs doivent d’abord changer. Pour ce faire, aujourd’hui, laissons-nous
prendre par la main de la Vierge. Regardons son Cœur Immaculé, où Dieu s’est
reposé, le Cœur unique d’une créature humaine sans ombre. Elle est « pleine
de grâce », et donc exempte de péché. En elle, il n’y a aucune trace de mal
et donc, avec elle, Dieu a pu commencer une nouvelle histoire de salut et de
paix. Il y a eu là un tournant dans l’histoire. Dieu a changé l’histoire en
frappant au Cœur de Marie.
Aujourd’hui nous aussi, renouvelés par le pardon de
Dieu, nous frappons à ce Cœur. En union avec les évêques et les fidèles du
monde entier, je désire porter solennellement au Cœur Immaculé de Marie tout
ce que nous sommes en train de vivre : lui renouveler la consécration de
l’Église et de toute l’humanité et lui consacrer, de manière particulière,
les peuples ukrainien et russe, qui la vénèrent comme leur Mère avec une
affection filiale. Il ne s’agit pas d’une formule magique, mais d’un acte
spirituel. C’est un geste de pleine confiance des enfants qui, dans la
tribulation de cette guerre cruelle et insensée qui menace le monde, ont
recours à leur Mère - comme des enfants qui, quand ils sont apeurés, vont
pleurer chez leur mère pour chercher sa protection. Nous avons recours à la
Mère, en jetant peur et douleur dans son Cœur, en nous en remettant à elle.
C’est déposer dans ce Cœur limpide, immaculé, où Dieu se reflète, les biens
précieux de la fraternité et de la paix, tout ce que nous avons et tout ce
que nous sommes, afin que ce soit elle, la Mère que le Seigneur nous a
donnée, qui nous protège et nous garde.
Des lèvres de Marie a jailli la plus belle phrase que
l’ange pouvait rapporter à Dieu : « Que tout m’advienne selon ta parole ».
Cette acceptation de la Vierge n’est pas passive, ni résignée, elle est un
désir vivant d’adhérer à Dieu qui a « des pensées de paix et non de malheur
». C’est la participation la plus étroite possible à son plan de paix pour le
monde. Nous nous consacrons à Marie pour entrer dans ce plan, pour nous mettre
pleinement à la disposition des plans de Dieu. La Mère de Dieu, après avoir
dit son “oui”, entreprend un long voyage, une montée vers les régions
montagneuses pour rendre visite à sa cousine enceinte - et elle est partie en
hâte. J’aime à penser à la Vierge Marie qui a hâte, toujours, la
Vierge qui se presse pour nous aider, pour nous protéger.
Qu’elle prenne aujourd’hui en main notre chemin,
qu’elle le guide sur les sentiers escarpés et fatigants de la fraternité et
du dialogue, qu’elle le guide sur le chemin de la paix.
Homélie du pape
François Célébration pénitentielle,
25 mars 2022,
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