M'aimes-tu ? Sois le berger de mes brebis
1. Tout d'abord : M'aime-tu ?
C'est une question, parce que le style de Jésus n'est pas tant de donner des
réponses, mais de poser des questions, des questions qui provoquent la vie. Et
le Seigneur, qui “s’adresse aux hommes en son surabondant amour comme à des
amis“ (Dei Verbum, n. 2), demande à nouveau, demande toujours à
l'Église, son Épouse : « M'aimes-tu ? ». Le Concile Vatican II a
été une grande réponse à cette question : c'est pour raviver son amour que
l'Église, pour la première fois dans l'histoire, a consacré un concile pour
qu’elle s'interroge sur elle-même, pour qu’elle réfléchisse sur sa propre
nature et sa mission. Et elle s'est redécouverte comme un mystère de grâce,
engendré par l'amour, elle s'est redécouverte comme Peuple de Dieu, Corps du
Christ, Temple vivant de l'Esprit Saint !
C'est le premier regard à porter sur l'Église, le
regard d'en haut. Oui, l'Église doit d'abord être regardée d'en haut, avec
les yeux aimants de Dieu. Demandons-nous si, dans l'Église, nous prêtres, nous
partons de Dieu, de son regard d'amour sur nous. Il y a toujours la tentation
de partir de soi plutôt que de Dieu, de faire passer nos agendas avant
l'Évangile, de nous laisser emporter par le vent de la mondanité pour suivre
les modes du temps, ou de refuser le temps que la Providence nous donne pour
faire demi-tour. Mais prenons garde, tant le progressisme qui s'adapte au monde
que le traditionalisme qui regrette un monde passé, ne sont pas des preuves
d'amour, mais d'infidélité. Ce sont des égoïsmes pélagiens, qui font passer les
goûts et les projets personnels avant l'amour qui plaît à Dieu, l'amour simple,
humble et fidèle que Jésus a demandé à Pierre.
Est-ce que tu m'aimes ? Redécouvrons le Concile pour redonner la primauté à
Dieu, à l'essentiel : à une Église folle d'amour pour son Seigneur, et
pour tous les hommes aimés par Lui, à une Église riche de Jésus et pauvre en
moyens, à une Église libre et libératrice.
Le Concile montre à l'Église cette voie : il la
fait revenir - comme Pierre dans l'Évangile -, en Galilée, aux sources du
premier amour, pour redécouvrir dans ses pauvretés la sainteté de Dieu. Chacun
de nous a sa Galilée, la Galilée du premier amour, et chacun de nous,
aujourd’hui aussi, est invité à retourner à sa Galilée pour entendre la voix du
Seigneur : « Suis-moi », pour retrouver dans le regard du
Seigneur crucifié et ressuscité sa joie perdue, pour se recentrer sur Jésus.
Retrouver la joie : une Église qui a perdu la
joie a perdu l’amour. Vers la fin de ses jours, le Pape Jean que nous fêtons
aujourd’hui écrivait : « Ma vie, qui touche à sa fin, ne peut être
mieux résolue qu'en me concentrant entièrement sur Jésus, Fils de Marie. Une
grande et continuelle intimité avec Jésus, contemplé en image : enfant,
crucifié, adoré dans le Sacrement » (Journal de l'âme, p. 977-978).
Voilà notre haut regard, voilà notre source toujours vivante : Jésus, la
Galilée de l’amour, Jésus qui nous appelle, Jésus qui nous demande : “Est-ce
que tu m’aimes ?”
Frères, sœurs, revenons aux pures sources d'amour du
Concile. Retrouvons la passion du Concile, et renouvelons notre passion pour le
Concile ! Immergés dans le mystère de l'Église mère et épouse, disons-nous
aussi avec saint Jean XXIII : Gaudet Mater Ecclesia ! (Discours
d'ouverture du Concile, 11 octobre 1962), “Que notre Mère l'Église se
réjouisse“, qu’elle soit habitée par la joie.
Si elle ne se réjouit pas, elle se dément elle-même
car elle oublie l'amour qui l'a créée. Et pourtant, combien d'entre nous ne
parviennent pas à vivre la foi avec joie, sans murmurer et sans
critiquer ? Une Église amoureuse de Jésus n'a pas de temps pour les
affrontements, les poisons et les polémiques. Que Dieu nous délivre d'être
critiques et intolérants, amers et en colère. Ce n'est pas seulement une
question de style, mais d'amour, car celui qui aime, comme l'enseigne l'Apôtre
Paul, fait tout sans murmurer (cf. Ph 2, 14). Seigneur,
enseigne-nous ton regard d’en haut, donne-nous de voir l'Église comme Tu la
vois. Et lorsque nous sommes critiques et mécontents, rappelle-nous qu'être
Église, c'est être témoin de la beauté de ton amour, c'est vivre en réponse à
ta question : M'aimes-tu ?, et ce n’est en rien aller à
une veillée funèbre.
2. M'aimes-tu ? Alors :
Sois le berger de mes brebis. Jésus exprime par là l'amour qu'il désire de
Pierre. Pierre était pêcheur de poissons, et Jésus l'a transformé en pêcheur
d'hommes (cf. Lc 5, 10). Il lui assigne maintenant un nouveau
métier, celui de berger, qu'il n'avait jamais exercé. C'est un revirement, car
alors que le pêcheur attire à lui, le berger prend soin des autres, fait paître
les autres. De plus, le berger vit avec le troupeau, nourrit les brebis,
s'attache à elles. Il n’est pas au-dessus comme le pêcheur, mais au milieu.
Le berger est devant le peuple pour tracer le chemin,
au milieu du peuple comme l’un d’eux, et derrière le peuple pour être proche de
ceux qui vont en retard. Le berger n’est pas au-dessus comme le pêcheur, mais
au milieu. Voici le deuxième regard que nous enseigne le Concile, le
regard à partir du milieu : être dans le monde avec les autres, sans
jamais se sentir au-dessus des autres, comme des serviteurs du grand Royaume de
Dieu (cf. Lumen gentium, n. 5), porter la bonne annonce de l'Évangile dans la
vie et dans les langues des hommes (cf. Sacrosanctum Concilium, n. 36), en
partageant leurs joies et leurs espérances (cf. Gaudium et spes, n. 1). Être au
milieu du peuple, et non pas au-dessus du
peuple – ce qui est le péché horrible du cléricalisme qui tue les brebis,
qui ne les guide pas, qui ne les fait pas grandir, mais qui tue. Combien le
Concile est actuel : il nous aide à rejeter la tentation de nous enfermer
dans les enclos de notre confort et de nos convictions, pour imiter le style de
Dieu que le prophète Ezéchiel nous décrit aujourd'hui : aller à la
recherche de la brebis perdue et la ramener au bercail, panser la blessée, et
guérir la malade (cf. Ez 34, 16).
Sois le berger :
l'Église n'a pas célébré le Concile pour s'admirer, mais pour se donner. Car
notre sainte Mère, surgie du cœur de la Trinité, existe pour aimer. Elle est un
peuple sacerdotal (cf. Lumen gentium, n. 10ss) et elle ne doit pas se démarquer du
monde, mais servir le monde. Ne l'oublions pas : le Peuple de Dieu naît
extraverti et il se rajeunit en se dépensant car il est sacrement d'amour. Frères
et sœurs, revenons au Concile qui a redécouvert le fleuve vivant de la
Tradition, sans stagner dans les traditions, qui a retrouvé la source de
l'amour, non pas pour rester en amont, mais pour que l'Église descende en aval
et soit un canal de miséricorde pour tous.
Sois le berger, répète
le Seigneur à son Église, et en faisant paître, elle surmonte la nostalgie du
passé, le regret de l’importance, l'attachement au pouvoir, parce que toi, peuple
saint de Dieu, tu es un peuple pastoral : tu n'existes pas
pour te paître toi-même, mais pour paître les autres, tous les autres, avec
amour. Et s'il est juste d'avoir une attention particulière, que ce soit pour
les préférés de Dieu, les pauvres, les rejetés, pour être l'Église de tous, et
particulièrement l'Église des pauvres.
Nous te rendons grâce, Seigneur, pour le don du
Concile. Avec Pierre et comme Pierre, nous te disons : Seigneur, tu sais
tout, tu sais que nous t'aimons (cf. Jn 21, 17).
Homélie du pape
François le mardi 11 octobre 2022,
60 ème
anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II et mémoire de saint Jean
XXIII
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