La paix soit avec vous
Messe pour la paix et la justice,
1er février 2023, Aéroport de Ndolo, Congo Kinshasa
Ma
joie de vous voir et de vous rencontrer est grande : j'ai beaucoup désiré ce
moment, cela fait un an que nous attendons ! Alors merci d'être là !
L'Évangile
vient juste de nous dire que la joie des disciples était grande aussi le soir
de Pâques, et que cette joie avait jailli « en voyant le Seigneur » (Jn 20, 20).
Dans cette atmosphère de joie et de stupeur, le Ressuscité s'adresse aux siens.
Que leur dit-il ? D'abord trois mots : « La paix soit avec vous ! »
(v. 19). C'est une salutation, mais c'est plus qu'une salutation : c'est un
don. Parce que la paix, cette paix annoncée par les anges la nuit de Bethléem,
cette paix que Jésus a promise aux siens (cf. Jn 14, 27),
elle est maintenant, pour la première fois, solennellement donnée aux
disciples.
La
paix de Jésus, qui nous est également donnée en chaque messe, est pascale :
elle vient avec la résurrection, parce que le Seigneur devait d'abord vaincre
nos ennemis - le péché et la mort -, et réconcilier le monde avec le Père. Il
devait éprouver notre solitude et notre abandon - nos enfers -, et embrasser et
combler les distances qui nous séparaient de la vie et de l'espérance.
Maintenant, les distances entre le Ciel et la terre, entre Dieu et l'homme
étant annulées, la paix de Jésus est donnée aux disciples.
Considérons
ces disciples. Ils étaient à ce moment-là complètement abasourdis par le
scandale de la Croix, blessés intérieurement d’avoir abandonné Jésus en fuyant,
déçus de l’issue de son histoire, craignant de finir comme lui... Il y avait en
eux de la culpabilité, de la frustration, de la tristesse, de la peur. Eh bien,
alors que dans le cœur des disciples ce ne sont que ruines, Jésus proclame la
paix ! Alors qu'ils ressentent en eux la mort, il annonce la vie. La paix
de Jésus advient au moment où tout semble fini pour eux, au moment le plus
inattendu et inespéré, où il n'y a aucune lueur de paix.
Ainsi
fait le Seigneur : il nous étonne, il nous tend la main lorsque nous sommes sur
le point de sombrer, il nous relève quand nous touchons le fond. Frères et
sœurs, avec Jésus, le mal ne l'emporte jamais, il n'a jamais le dernier mot.
« C’est lui, le Christ, qui est notre paix » (Ep 2, 14), et
sa paix est toujours victorieuse. C’est pourquoi, nous qui appartenons à Jésus,
nous ne pouvons pas laisser la tristesse l'emporter sur nous, nous ne pouvons
pas laisser la résignation et le fatalisme s’installer. Si l’on respire cette
atmosphère autour de nous, qu'il n'en soit pas ainsi pour nous : dans un monde découragé
par la violence et la guerre, les chrétiens doivent faire comme Jésus. Il a
répété, avec insistance, aux disciples : La paix,
la paix soit avec vous ! (Cf. Jn 20,
19.21), et nous sommes appelés à faire nôtre et dire au monde cette annonce
inespérée et prophétique du Seigneur, cette annonce de paix.
Mais
comment garder et cultiver la paix de Jésus, nous demandons nous ? Lui-même
nous indique trois sources
de paix, trois sources pour continuer à la cultiver. Ce sont le
pardon, la communauté, et la mission.
Voyons
la première source : le pardon. Jésus
dit aux siens : « À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis » (v.
23). Cependant, avant de donner aux apôtres le pouvoir de pardonner, il leur
pardonne. Non pas avec des mots, mais avec un geste, le premier que le
Ressuscité accomplit devant eux : « Il leur montra ses mains et son
côté » (v. 20), c’est-à-dire qu’il leur montre ses plaies. Il les leur
offre, parce que le pardon naît des blessures, il naît lorsque les blessures
subies ne laissent pas des cicatrices de haine, mais deviennent le lieu où
faire de la place aux autres et accueillir leurs faiblesses. Les fragilités deviennent
alors des opportunités, et le pardon devient le chemin de la paix.
Il
ne s'agit pas de tout laisser derrière soi comme si de rien n'était, mais
d'ouvrir son cœur aux autres avec amour. C'est ce que fait Jésus : face à la
misère de ceux qui l'ont renié et abandonné, il montre ses plaies, et il ouvre
la source de la miséricorde. Il n'emploie pas beaucoup de mots, mais il ouvre
grand son Cœur blessé, pour nous dire qu'il est toujours blessé d'amour pour
nous.
Frères
et sœurs, lorsque la culpabilité et la tristesse nous oppressent, lorsque les
choses ne vont pas bien, nous savons où regarder : vers les plaies de Jésus,
prêt à nous pardonner avec son amour blessé et infini.
Il
connaît tes blessures, il connaît les blessures de ton pays, de ton peuple, de
ta terre ! Ce sont des blessures qui brûlent, continuellement infectées
par la haine et la violence, et le remède de la justice et le baume de
l’espérance ne semblent jamais arriver. Frère et sœur, Jésus souffre avec toi,
il voit les blessures que tu portes en toi et désire te consoler et te guérir
en te présentant son Cœur blessé. Dieu répète à ton cœur les paroles qu'il a
prononcées aujourd'hui par le prophète Isaïe : « Je le guérirai, je le
conduirai, je le comblerai de consolations » (Is 57, 18).
Ensemble,
aujourd'hui, nous croyons qu'il y a toujours avec Jésus la possibilité d'être
pardonné et de recommencer, et aussi trouver la force de pardonner à soi-même,
aux autres et à l'histoire ! C'est ce que le Christ veut : nous oindre de son
pardon pour nous donner la paix et le courage de pardonner à notre tour, le
courage d'accomplir une grande amnistie
du cœur.
Comme
il nous est bon de purifier nos cœurs de la colère, des remords, de tout
ressentiment et de toute rancœur ! Bien-aimés, que ce jour soit un temps de
grâce pour accueillir et vivre le pardon de Jésus ! Qu’il soit l’occasion pour
toi, qui portes un lourd fardeau dans ton cœur dont tu as besoin de te
débarrasser, de recommencer à respirer. Et qu’il soit un moment propice pour
toi, qui t’affirmes chrétien dans ce pays, mais qui commets des violences. À
toi le Seigneur dit : "Dépose tes armes, embrasse la miséricorde". Et
à tous les blessés et opprimés de ce peuple, il dit : N'ayez pas peur de mettre
vos blessures dans les miennes, vos plaies dans mes plaies.
Faisons-le,
frères et sœurs : N'ayez pas peur de sortir le crucifix de votre col et de
vos poches, de le prendre dans vos mains, et de le porter sur votre cœur pour
partager vos blessures avec celles de Jésus. De retour à la maison, prenez le crucifix
que vous avez, et embrassez-le. Donnons au Christ la possibilité de guérir nos
cœurs, jetons en Lui le passé, toutes les peurs, toutes les angoisses.
Comme
c'est beau d'ouvrir les portes du cœur et celles de la maison à sa paix ! Et
pourquoi ne pas écrire dans vos chambres, sur vos vêtements, à l'extérieur de
vos maisons, cette parole : Paix à
vous ! Exposez-la, elle sera une prophétie pour le
pays, une bénédiction du Seigneur sur ceux que vous rencontrez. Paix à
vous : laissons-nous pardonner par Dieu et pardonnons-nous les uns
les autres !
Voyons
maintenant la deuxième source de paix : la
communauté. Jésus ressuscité ne s'adresse pas à ses disciples
individuellement, mais il les rencontre ensemble. Il leur parle au pluriel, et
il donne sa paix à la première communauté. Il n'y a pas de christianisme sans
communauté, tout comme il n'y a pas de paix sans fraternité. Mais en tant que
communauté, où marcher, où aller pour trouver la paix ?
Regardons
à nouveau les disciples. Avant Pâques, ils suivaient Jésus mais ils
raisonnaient encore de manière trop humaine. Ils espéraient un Messie
conquérant qui chasserait les ennemis, qui accomplirait des prodiges et des
miracles, qui augmenterait leur prestige et leur succès. Mais ces désirs
mondains les ont laissés les mains vides, pire, ils ont retiré à la communauté
la paix en générant des discussions et des oppositions (cf. Lc 9, 46 ;
22, 24).
Pour
nous aussi, il y a ce risque : être ensemble, oui, mais avancer seul, en
cherchant dans la société, voire aussi dans l'Église, le pouvoir, la carrière,
les ambitions... De cette manière-là, on suit son propre moi au lieu du vrai
Dieu, et on finit comme les disciples : enfermé chez soi, vide d’espérance et
rempli de peur et de désillusions.
Mais
voici qu'à Pâques, ils retrouvent le chemin de la paix grâce à Jésus qui
souffle sur eux et dit : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22). Grâce
à l'Esprit Saint ils ne considèreront plus ce qui les divise mais ce qui les
unit, ils iront dans le monde non plus pour eux-mêmes, mais pour les autres,
non pas pour avoir de la visibilité mais pour donner de l’espérance, non pas
pour gagner l'approbation mais pour dépenser leur vie avec joie pour le
Seigneur et pour les autres.
Frères
et sœurs, le danger pour nous est de suivre l'esprit du monde plutôt que celui
du Christ. Et quel est le moyen de ne pas tomber dans les pièges du pouvoir et
de l'argent, de ne pas céder aux divisions, aux flatteries du carriérisme qui
rongent la communauté, aux fausses illusions du plaisir et de la sorcellerie
qui renferment en soi-même ? Le Seigneur nous le suggère à nouveau par
l'intermédiaire du prophète Isaïe, en disant : « Je suis avec qui est
broyé, humilié dans son esprit, pour ranimer l’esprit des humiliés, pour
ranimer le cœur de ceux qu’on a broyés » (Is 57, 15).
Le
moyen c’est de partager avec les pauvres : voilà le meilleur antidote contre la
tentation de nous diviser et de devenir mondains. Avoir le courage de regarder
les pauvres et de les écouter car ils sont des membres de notre communauté, et
non pas des étrangers à ôter de notre vue et de notre conscience. Ouvrir
notre cœur aux autres, au lieu de le fermer sur nos problèmes ou sur nos
vanités.
Repartons
des pauvres et nous découvrirons que nous partageons tous une pauvreté
intérieure, que nous avons tous besoin de l'Esprit de Dieu pour nous libérer de
l'esprit du monde, que l'humilité est la grandeur du chrétien, et la fraternité
sa vraie richesse. Croyons en la communauté, et avec l'aide de Dieu, édifions
une Église vide d'esprit mondain, mais remplie d'Esprit Saint, libre de toute
richesse pour soi-même et pleine d'amour fraternel !
Enfin,
nous en arrivons à la troisième source de la paix : la
mission. Jésus dit aux disciples : « De même que le Père m’a
envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20, 21).
Il nous envoie comme le Père l'a envoyé. Et comment le Père l'a-t-il envoyé
dans le monde ? Il l'a envoyé pour servir et donner sa vie pour l'humanité (cf. Mc 10, 45),
pour manifester sa miséricorde pour chacun (cf. Lc 15), pour
chercher ceux qui sont loin (cf. Mt 9, 13).
En un mot, il l'a envoyé pour tous : pas
seulement pour les justes, mais pour tous. En ce sens, les paroles d'Isaïe
résonnent à nouveau : « Paix ! La paix à celui qui est loin, et à
celui qui est proche, dit le Seigneur ! » (Is 57, 19).
À ceux qui sont loin d'abord, et aux proches : pas seulement aux
"nôtres", mais à tous.
Frères
et sœurs, nous sommes appelés à être des missionnaires de paix, et cela nous
donnera la paix. C'est un choix : faire de la place dans nos cœurs pour
tous, c'est croire que les différences ethniques, régionales, sociales,
religieuses et culturelles viennent après, et ne sont pas des obstacles. C’est
croire que les autres sont des frères et des sœurs, membres de la même
communauté humaine. C’est croire que tous sont destinataires de la paix
apportée dans le monde par Jésus, c'est croire que nous, chrétiens, nous sommes
appelés à collaborer avec tous, à briser le cercle de la violence, à démanteler
les complots de la haine. Oui, les chrétiens, envoyés par le Christ, sont
appelés par définition à être la conscience
de paix du monde : non
seulement des consciences critiques, mais surtout des témoins d’amour. Non pas
ceux qui revendiquent leurs droits, mais ceux de l'Évangile que sont la
fraternité, l'amour et le pardon. Non pas ceux qui cherchent leurs intérêts,
mais des missionnaires de l'amour fou que Dieu a pour chaque être humain.
Jésus dit
aujourd'hui à chaque famille, communauté, groupe ethnique, quartier et ville de
ce grand pays : la Paix
soit avec vous. Que ces paroles de notre Seigneur résonnent dans
nos cœurs, en silence. Sentons qu’elles s’adressent à nous et choisissons
d'être des témoins du pardon, des
acteurs dans la communauté, des personnes en mission de paix
dans le monde.
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