Au sein
de l’orchestre, une fidélité créative, pour être une Église symphonique et
synodale
Le texte des Actes des Apôtres (cf. 2, 1-11) que nous
venons d’entendre nous relate la Pentecôte, le baptême de l’Église... Il met en
scène les apôtres, et une longue liste de peuples : « Parthes, Mèdes et
Élamites... » (v. 9). Cette longue liste de peuples m’a fait penser aux
Cardinaux qui, grâce à Dieu, sont originaires de toutes les parties du monde,
des nations les plus diverses, et c’est la raison pour laquelle j’ai choisi ce
passage biblique.
Mais une surprise m’attendait, et elle vient du fait
que normalement, nous, pasteurs, lorsque nous lisons le récit de la Pentecôte,
nous nous identifions aux Apôtres, et il est normal qu’il en soit ainsi. Par
contre, ces “Parthes, Mèdes, Elamites”, etc., que dans mon esprit j’avais
associés aux Cardinaux, n’appartiennent pas au groupe des disciples. Ils font
partie de cette foule qui s’est rassemblée en entendant le bruit causé par le
vent impétueux. Les Apôtres sont tous Galiléens, tandis que les gens qui sont
rassemblés sont de toutes les nations sous le ciel, comme le sont Évêques et
Cardinaux à notre époque.
Une telle inversion des rôles donne à réfléchir, e, en
la regardant de plus près, elle révèle une perspective intéressante que je
voudrais partager avec vous. Il s’agit de nous appliquer - moi le premier -
l’expérience de ces juifs qui, par un don de Dieu, se sont trouvés
protagonistes de l’événement de la Pentecôte, c’est-à-dire du baptême dans
l’Esprit Saint, donnant naissance à l’Église une, sainte, catholique et
apostolique. Je résumerais cette perspective de la manière suivante : redécouvrir
avec étonnement le don d’avoir reçu l’Évangile « dans nos
langues », comme le disent ces gens. Repenser avec gratitude au don
d’avoir été évangélisés et d’avoir été tirés de
peuples qui, chacun en son temps, ont reçu l’annonce du mystère du
salut, et qui, en l’accueillant, ont été baptisés dans l’Esprit Saint et sont
entrés dans l’Église, l’Église-Mère qui parle dans toutes les langues, et qui
est une et catholique.
Cette Parole du Livre des Actes nous fait alors penser
qu’avant d’être “apôtres”, avant d’être prêtres, évêques, cardinaux, nous
sommes “Parthes, Mèdes, Élamites” etc. Et cela devrait éveiller en nous
l’étonnement et la gratitude pour avoir reçu la grâce de l’Évangile dans nos
peuples d’origine respectifs. C’est très important, et il ne faut pas
l’oublier. C’est là, dans l’histoire de notre peuple, je dirais dans la “chair”
de notre peuple, que l’Esprit Saint a opéré le miracle de la
communication du mystère de Jésus-Christ mort et ressuscité. Et il nous est
parvenu “dans nos langues”, sur les lèvres et dans les gestes de nos
grands-parents et de nos parents, des catéchistes, des prêtres, des
religieux... Chacun de nous peut se souvenir de voix et de visages concrets. La
foi est transmise “en dialecte”, par les mères et les grands-mères !
Nous sommes en effet des évangélisateurs dans la
mesure où nous gardons dans notre cœur l’émerveillement et la gratitude d’avoir
été évangélisés, ou plutôt d’être évangélisés, parce qu’en réalité
il s’agit d’un don toujours actuel qui demande à être continuellement renouvelé
dans la mémoire et dans la foi.
Frères et sœurs, chers Cardinaux, la Pentecôte - comme
le Baptême de chacun d’entre nous - n’appartient pas au passé, c’est un acte
créateur que Dieu renouvelle continuellement. L’Église - et chacun de ses
membres - vit de ce mystère toujours actuel. Elle ne vit pas
de “rente”, non, encore moins d’un patrimoine archéologique aussi précieux et
noble soit-il. L’Église, et chaque baptisé, vit dans l’aujourd’hui
de Dieu par l’action de l’Esprit Saint. Même l’acte que nous accomplissons ici
en ce moment a un sens si nous le vivons dans cette perspective de foi. Et
aujourd’hui, à la lumière de la Parole, nous pouvons saisir cette réalité :
vous, nouveaux Cardinaux, vous êtes venus de différentes parties du monde, et
le même Esprit qui féconda l’évangélisation de vos peuples renouvelle
maintenant en vous votre vocation et votre mission dans l’Église et pour
l’Église.
De cette réflexion à partir d’une “surprise” féconde,
je voudrais simplement tirer une conséquence pour vous, frères Cardinaux, et
pour votre Collège, et je voudrais l’exprimer par une image, celle de
l’orchestre : le Collège Cardinalice est appelé à ressembler à un
orchestre symphonique représentant la symphonie et la synodalité de
l’Église. Je dis aussi “synodalité”, non seulement parce que nous sommes à la
veille de la première Assemblée du Synode, qui porte précisément sur ce thème,
mais aussi parce qu’il me semble que la métaphore de l’orchestre peut bien éclairer
le caractère synodal de l’Église.
Une symphonie vit de la composition savante des
timbres des différents instruments : chacun apporte sa contribution,
parfois seul, parfois uni à un autre, parfois avec tout l’ensemble. La
diversité est nécessaire, elle est indispensable. Mais chaque son doit
concourir au dessein commun. Et pour cela, l’écoute mutuelle est fondamentale :
chaque musicien doit écouter les autres. Si l’on n’écoutait que soi-même, aussi
sublime que puisse être son propre son, cela ne servirait en rien la symphonie.
Et il en serait de même si une partie de l’orchestre n’écoutait pas les autres,
mais jouait comme si elle était seule, comme si elle était le tout. Et le chef
d’orchestre est au service de cette sorte de miracle qu’est chaque fois l’exécution
d’une symphonie. Il doit écouter plus que tous les autres, et en même temps sa
tâche est d’aider chacun et tout l’orchestre à développer au maximum la
fidélité créative, une fidélité à l’œuvre qui est exécutée, mais créative,
capable de donner une âme à la partition, de la faire résonner dans l’ici et le
maintenant, d’une manière unique.
Chers frères et sœurs, il nous est bon de nous
reconnaître dans l’image de l’orchestre, pour apprendre davantage à être Église
symphonique et synodale. Je la propose en particulier à vous, membres du
Collège cardinalice, dans la consolante confiance que nous avons pour maître
l’Esprit Saint. C’est Lui le protagoniste, le maître intérieur de chacun et le
maître du cheminement commun. Il crée la variété et l’unité, il est l’harmonie
même, dit Saint Basile.
Nous nous confions à sa conduite douce et forte, et à
la protection prévenante de la Vierge Marie.
Consistoire
pour la création de nouveaux cardinaux.
Homélie place
Saint Pierre 30 septembre 2023
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