Communiquer ?
La famille, milieu privilégié de la rencontre, dans la gratuité de
l'amour
La
famille est le
premier lieu où l'on apprend à communiquer.
Retourner à ce moment originel peut nous aider autant à rendre la
communication plus authentique et plus humaine, qu’à considérer
la famille d'un nouveau point de vue.
Nous pouvons
nous laisser inspirer par l'icône évangélique de la visitation de
Marie à Elisabeth (Lc 1,
39-56). « Or quand
Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en
elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria
d’une voix forte : Tu es bénie entre toutes les femmes, et le
fruit de tes entrailles est béni » (v.
41-42).
Tout d'abord
cet épisode nous montre la
communication comme un
dialogue qui se noue avec le langage du corps.
En effet, la première réponse
à la salutation de Marie, c’est
l'enfant qui la donne en
tressaillant
de joie dans le sein
d'Élisabeth. Exulter pour la joie de
la rencontre est en quelque sorte
l'archétype
et le symbole de toute autre
communication que nous apprenons
bien avant de venir au monde. Le sein
qui nous accueille est la première
"école" de communication,
faite d’écoute
et de contact corporel,
où nous commençons à nous familiariser avec le monde extérieur
dans un environnement protégé
et au rythme rassurant des battements
du cœur de la maman. Cette
rencontre entre deux êtres aussi intimes et encore aussi étrangers
l’un à l’autre, une rencontre pleine de promesses, est notre
première expérience de communication. Et c'est une expérience qui
nous unit tous, parce que chacun de
nous est né d'une mère.
Même après
la naissance, nous restons dans un certain sens dans le
"sein" que représente la famille. Un
sein constitué de personnes différentes, en relation :
la famille est le « lieu où l’on apprend à vivre
ensemble dans la différence »
(Evangelii
gaudium, n. 66).
Différences de genres et de générations, qui communiquent avant
tout afin de s’accueillir mutuellement, car il existe un lien entre
elles. Et, plus large
est l’éventail de ces relations, plus sont différents
les âges, plus riche
est notre cadre de vie. C’est le lien qui
est au fondement de la parole,
qui à son tour, le renforce.
Nous n’inventons pas les mots
: nous pouvons les utiliser parce que nous les avons reçus.
C'est dans la famille que l’on apprend à parler dans la "langue
maternelle", c'est-à-dire la
langue de nos ancêtres (cf. 2
M 7,
25.27). En famille on se rend
compte que d'autres nous ont
précédés, qu’ils nous ont mis
dans la condition d'exister et de pouvoir à
notre tour engendrer la vie et faire
quelque chose de bon et de beau. Nous pouvons donner parce que nous
avons reçu, et ce cercle vertueux est au cœur de la capacité
de la famille à se communiquer et à
communiquer,
et, plus généralement, c’est le paradigme de toute communication.
L'expérience
du lien qui nous "précède" fait aussi de la famille le
contexte où se transmet cette
forme fondamentale de la
communication qu’est la
prière. Quand la maman et le papa
font dormir leurs nouveau-nés, très souvent ils les confient à
Dieu, pour qu’il veille sur eux. Et quand ils sont un peu plus
grands, ils récitent ensemble avec eux des prières simples, se
souvenant aussi avec affection d'autres personnes, des
grands-parents, d’autres membres de la famille, des malades et de
ceux qui souffrent, de toutes les personnes qui ont le plus besoin de
l'aide de Dieu. Ainsi, en famille,
la plupart d'entre nous ont appris la dimension
religieuse de la communication, qui,
dans le christianisme,
est toute pleine d'amour,
de l'amour de Dieu qui se donne à nous et que nous offrons aux
autres.
C’est dans
la famille que se développe principalement la capacité de
s’embrasser,
de se soutenir, de s’accompagner,
de déchiffrer les regards
et les silences,
de rire et de pleurer ensemble,
entre des personnes qui ne se sont
pas choisies et qui pourtant sont si
importantes les unes pour les autres.
Cela nous fait comprendre ce qu'est vraiment la
communication comme découverte
et construction de proximité.
Réduire les distances,
se rencontrer
et s’accueillir mutuellement
est un motif de gratitude
et de joie :
de la salutation de Marie et du tressaillement du bébé jaillit la
bénédiction d'Élisabeth, suivie par le beau Cantique
du Magnificat,
dans lequel Marie fait l'éloge du dessein d'amour de Dieu sur elle
et sur son peuple. D’un "oui" prononcé avec foi
découlent des conséquences qui vont bien au-delà de nous-mêmes et
se répandent dans le monde. "Visiter" signifie ouvrir les
portes, et non pas se retirer dans ses appartements, sortir, aller
vers l'autre. Ainsi la famille est
vivante si elle respire
en s’ouvrant au-delà d’elle-même,
et les familles qui le font, peuvent communiquer leur message de vie
et de communion, peuvent donner réconfort et espérance aux familles
plus blessées et faire croître
l'Église elle-même, qui est la
famille des familles.
La famille
est plus que tout autre le lieu où, vivant ensemble au quotidien,
l’on fait l'expérience de ses
propres limites et
de celles des autres,
des petits et des grands problèmes de la coexistence, de l'entente
mutuelle. La famille parfaite n’existe pas, mais nous ne devons pas
avoir peur de l'imperfection, de la fragilité, voire des conflits :
il faut apprendre à les affronter de manière constructive. Ainsi la
famille où l’on s’aime
malgré les propres limites et les péchés, devient une école
de pardon. Le pardon est
une communication
dynamique, une communication qui
s’use et se rompt
et qui, à travers le repentir
exprimé et accueilli, peut se
renouer et faire
grandir. Un enfant qui en famille,
apprend à écouter les autres, à parler de façon respectueuse, en
exprimant son point de vue sans nier celui d’autrui, sera dans
la société un constructeur
de dialogue et de réconciliation.
A propos des
limites et de la communication, les
familles avec des enfants souffrant
d’un ou de plusieurs handicaps ont
beaucoup à nous apprendre.
Le déficit moteur,
sensoriel ou intellectuel, comporte toujours la tentation de se
renfermer. Mais il peut devenir, grâce à l'amour des parents, des
frères et sœurs et d’autres personnes amies, une
incitation à s’ouvrir, à partager, à communiquer de manière
inclusive, et il peut aider l’école,
la paroisse, les associations à être plus accueillantes envers
tous, sans exclure personne.
Ensuite,
dans un monde où si souvent on maudit, on parle mal, on sème la
zizanie, où le bavardage pollue notre environnement humain, la
famille peut être une
école de la communication
comme bénédiction.
Et ceci, même là où semble prévaloir de manière inévitable la
haine et la violence, lorsque les familles sont séparées par des
murs de pierre ou par des murs non moins impénétrables de préjugés
et de ressentiments, quand il y aurait de bonnes raisons de dire "ça
suffit maintenant". En fait, bénir
au lieu de maudire, visiter
au lieu de rejeter, accueillir
au lieu de combattre est le seul moyen de briser
la spirale du mal, pour témoigner
que le bien est toujours possible et
pour éduquer les enfants à la
fraternité.
Aujourd'hui
les médias plus modernes,
qui surtout pour les plus jeunes sont désormais
indispensables, peuvent tout aussi
bien entraver qu’aider cette
communication en famille et entre familles. Ils peuvent
l’entraver s’ils
deviennent un moyen de se soustraire
à l’écoute, de s'isoler
de la présence physique, en
saturant
chaque instant de silence
et d'attente,
oubliant d’apprendre que « le
silence fait partie intégrante de la
communication
et sans lui aucune parole riche de sens ne peut exister.» (Benoît
XVI, Message pour la 46e Journée mondiale des communications
sociales, 24.01.2012). Ils
peuvent la favoriser s’ils
aident à dire
et à partager,
à rester en contact avec ceux qui
sont éloignés, à remercier
et à demander pardon,
à rendre
toujours à nouveau possible la
rencontre. Redécouvrant chaque jour
ce centre vital qu’est la
rencontre, ce
“début vivant“, nous saurons
orienter
notre relation à l’aide des technologies, plutôt que de nous
laisser guider par elles. Dans ce domaine également, les parents
sont les premiers éducateurs. Mais ils ne doivent pas être laissés
seuls : la communauté chrétienne est appelée à être à
leurs côtés pour qu’ils sachent enseigner
aux enfants à vivre
dans un monde de communication,
conformément aux critères de la
dignité de la personne humaine et
du bien commun.
Le défi qui
se présente à nous aujourd’hui est donc de réapprendre
à dire, pas simplement à produire
et à consommer
l'information. C’est dans cette direction que nous poussent les
puissants et précieux moyens de la communication contemporaine.
L'information
est importante,
mais elle n’est pas suffisante, parce que trop
souvent elle simplifie,
accentue les différences et oppose les diverses visions, incitant à
prendre parti
pour l'une ou l'autre, au lieu d'encourager une vision d’ensemble.
Ainsi, la
famille, en fin de compte n'est pas
un objet sur lequel on communique des opinions, ou un terrain où
l’on se livre à des batailles idéologiques, mais un
milieu où l’on apprend à communiquer dans
la proximité, et elle est un
sujet qui communique, une
"communauté communicante".
Une communauté
qui sait accompagner,
célébrer
et faire fructifier.
En ce sens, il est possible de rétablir un regard capable de
reconnaître que la famille
continue d'être une grande
ressource, et pas seulement un
problème ou une institution en crise. Les médias ont
tendance à présenter parfois la famille comme s'il s'agissait d'un
modèle abstrait à accepter ou à rejeter, à défendre ou à
attaquer, et non une réalité
concrète à vivre, ou comme s’il
s’agissait d’une idéologie de l’un contre l’autre, plutôt
que le lieu
où tous nous apprenons
ce que signifie communiquer dans
l’amour reçu et donné. Parler
signifie comprendre que nos vies sont tissées dans une seule trame
unitaire, que les voix sont multiples et que chacune est
irremplaçable.
La famille
la plus belle, protagoniste et non pas problématique, est celle qui
sait communiquer,
en partant du témoignage,
de la beauté et de la richesse de la relation entre homme et femme,
et entre parents et enfants. Nous ne luttons pas pour défendre le
passé, mais nous travaillons avec patience et confiance, dans tous
les milieux que nous habitons au quotidien, pour construire l'avenir.
Message du
pape François pour la 49e Journée mondiale des communications
sociales
23 Janvier
2015
Vigile de la fête de saint François de Sales
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