16 mars 2014

Du Pape François 07/03/2014

La chair du Christ, la chair de mon frère : ma chair


     Le vendredi après les Cendres, l’Église nous invite à méditer sur la véritable signification du jeûne, à travers deux lectures incisives, tirées du prophète Isaïe (58, 1-9) et de l’Évangile de Matthieu (9, 14-15). Derrière les lectures d’aujourd’hui, il y a le fantôme de l’hypocrisie, du formalisme dans la manière d’accomplir les commandements - le jeûne en l’occurrence. Jésus revient régulièrement sur le thème de l’hypocrisie, quand il voit que les docteurs de la Loi pensent être parfaits : ils accomplissent tout ce qu’il y a dans les commandements, d’une manière purement formelle.
     C’est là un problème de mémoire, qui fait qu’on avance avec un double visage sur la route de la vie : en fait, les hypocrites ont oublié qu’ils ont été élus par Dieu comme un peuple, et non pas isolément. Ils ont oublié l’histoire de leur peuple, cette histoire de salut, d’élection, d’alliance, de promesse qui vient directement du Seigneur.
     En faisant cela, ils ont réduit cette histoire à une morale : la vie religieuse est pour eux une morale, et c’est ainsi qu’au temps de Jésus, les théologiens disaient qu’il y avait plus ou moins trois cents commandements. Mais recevoir du Seigneur l’amour d’un Père, recevoir du Seigneur son identité comme peuple, et puis transformer ça en une morale, ça signifie refuser ce don de l’amour. Les hypocrites sont par ailleurs de “bonnes personnes“ : elles font tout ce qu’il faut faire, elles semblent bonnes. Mais ce sont des moralisateurs, des moralisateurs sans bonté, parce qu’ils ont perdu le sens de l’appartenance à un peuple.
     Le salut, le Seigneur le donne à l’intérieur d’un peuple, dans l’appartenance à un peuple. Et donc on comprend comment le prophète Isaïe nous parle aujourd’hui du jeûne, de la pénitence : « Quel est le jeûne que veut le Seigneur ? » C’est le jeûne qui relie au peuple - le peuple auquel nous appartenons, notre peuple, dans lequel nous sommes appelés, dans lequel nous sommes insérés : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas plutôt faire tomber les chaines injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, recueillir chez toi les malheureux sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à celui qui est ta propre chair ? » (Is 58, 6-7).
     Et donc le sens du vrai jeûne, c’est de se préoccuper de la vie de son frère, de ne pas avoir honte de la chair de son frère, comme le dit Isaïe lui-même : en fait, notre perfection, notre sainteté avance avec notre peuple - ce peuple dans lequel nous avons été élus et insérés - et notre acte de sanctification le plus grand est lié à la chair de notre frère et à la chair de Jésus Christ.
     Et pour nous qui sommes ici à l’autel, l’acte de sanctification d’aujourd’hui, ce n’est pas un jeûne hypocrite. C’est de ne pas avoir honte de la chair du Christ qui vient, ici, aujourd’hui, dans ce mystère du corps et du sang du Christ. Et c’est d’aller partager notre pain avec celui qui a faim, prendre soin des malades, des vieillards, de ceux qui ne peuvent rien nous donner en échange : c’est ça ne pas avoir honte de la chair.
     Le salut de Dieu est dans un peuple. Un peuple qui va de l’avant, un peuple de frères qui n’ont pas honte les uns des autres. C’est le jeûne le plus difficile : le jeûne de la bonté. La bonté nous conduit là. Peut-être que dans la parabole du bon samaritain, le prêtre qui est passé à côté de l’homme blessé a pensé, en se référant à la prescription du jour : Si je touche son sang, cette chair blessée, je deviendrai impur et je ne pourrai pas célébrer le sabbat… Il a eu honte de la chair de cet homme : quelle hypocrisie ! Et par contre, ce pécheur est passé et l’a vu : il a vu la chair de son frère, la chair d’un homme de son peuple, fils de Dieu comme lui, et il n’a pas eu honte.
     Ce que nous propose l’Église aujourd’hui dans la liturgie nous invite à un véritable examen de conscience : est-ce que j’ai honte de la chair de mon frère, de ma sœur ? Quand je fais l’aumône, est-ce que je laisse tomber ma pièce, sans toucher la main de l’autre ? Et si par hasard je la touche, est-ce en la retirant aussitôt ? Et quand je donne mon aumône, est-ce que je regarde mon frère, ma sœur, dans les yeux ? Quand je sais que quelqu’un est malade, est-ce que je vais le voir ? Est-ce que je le salue avec tendresse ?
     Et pour compléter cet examen de conscience, il y a un signe qui peut-être nous aidera : est-ce que je sais caresser les malades, les vieillards, les enfants ? Ou est-ce que j’ai perdu le sens de la caresse ? Les hypocrites ne savent plus caresser, ils ont oublié comment on fait.
     Alors n’ayons pas honte de la chair de notre frère : c’est notre chair. Et nous serons jugés sur notre attitude envers tel frère, telle sœur, et sûrement pas en vertu d’un jeûne hypocrite.

Homélie du vendredi 7 mars 2014 (Is 58, 1-9 ; Mt 9, 14-15)









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