Esprit
Saint, harmonie de Dieu, viens en nous !
Pour
les disciples, la Pentecôte est arrivée après cinquante jours
incertains. D’une part, Jésus était ressuscité et pleins de
joie, ils l’avaient vu et écouté, ils avaient aussi mangé avec
Lui. D’autre part, ils n’avaient pas encore surmonté les doutes
et les peurs : ils demeuraient enfermés, avec peu de
perspectives, incapables d’annoncer le Vivant.
Puis
arrive l’Esprit Saint, et les préoccupations disparaissent :
maintenant les Apôtres ne craignent plus, même devant celui qui les
arrête. Ils étaient tout d’abord préoccupés de sauver leur vie,
maintenant ils n’ont plus peur de mourir. Avant, ils étaient
enfermés dans le Cénacle, maintenant ils annoncent à tous les
peuples.
Jusqu’à
l’Ascension de Jésus, ils attendaient le Règne de Dieu pour eux
(cf. Ac 1, 6), maintenant ils sont impatients
d’atteindre des confins inconnus. Avant, ils n’avaient presque
jamais parlé en public, et lorsqu’ils l’avaient fait, ils
avaient souvent dit un peu n’importe quoi, comme Pierre qui avait
renié Jésus. Maintenant ils s’adressent avec franc-parler à
tous. L’histoire des disciples qui semblait toucher à sa fin, est
maintenant renouvelée par la jeunesse de l’Esprit : ces
jeunes qui, en proie à l’incertitude, croyaient toucher le terme,
ont été transformés par une joie qui les a fait renaître, et
c’est ’Esprit Saint qui a fait cela.
L’Esprit
n’est pas une chose abstraite : c’est la Personne la plus
concrète, la plus proche, celle qui change notre vie. Comment
fait-il ? Regardons les Apôtres. L’Esprit ne leur a pas rendu
les choses plus faciles, il n’a pas fait des miracles
spectaculaires, il n’a pas écarté les problèmes et les
opposants, mais l’Esprit a apporté dans la vie des disciples une
harmonie qui manquait, la sienne, parce qu’Il est harmonie.
Harmonie
à l’intérieur de l’homme. A l’intérieur, dans le cœur, les
disciples avaient besoin d’être changés. Leur histoire nous dit
que même le fait de voir le Ressuscité ne suffit pas si on ne
L’accueille pas dans le cœur. Il ne suffit pas de savoir que le
Ressuscité est vivant si on ne vit pas comme des ressuscités. Et
c’est l’Esprit qui fait vivre et revivre Jésus en nous, qui nous
ressuscite intérieurement.
Pour
cela, Jésus rencontrant les siens, répète : « La paix
soit avec vous ! » (Jn 20, 19.21) et il donne
l’Esprit. La paix ne consiste pas à résoudre les problèmes de
l’extérieur - Dieu n’enlève pas aux siens les tribulations et
les persécutions -, mais à recevoir l’Esprit Saint. Cette paix
donnée aux Apôtres, cette paix qui ne libère pas des problèmes,
mais qui est donnée au milieu des problèmes, elle est
offerte à chacun de nous.
C’est
une paix qui rend le cœur semblable à la mer profonde qui est
toujours tranquille, même lorsqu’en surface, les vagues s’agitent.
C’est une harmonie si profonde qu’elle peut même transformer les
persécutions en béatitudes. Mais combien de fois, au contraire,
nous restons en surface ! Au lieu de chercher l’Esprit, nous
tentons de nous en sortir, pensant que tout ira mieux si tel malheur
passe, si je ne vois plus telle personne, si telle situation
s’améliore. Mais ça, c’est rester à la surface : passé un
problème, un autre arrivera, et l’inquiétude reviendra. Ce n’est
pas en prenant les distances par rapport à celui qui ne pense comme
nous que nous serons sereins, ce n’est pas en cherchant à résoudre
les problèmes du moment que nous serons en paix. Le tournant est la
paix de Jésus, l’harmonie de l’Esprit.
Aujourd’hui,
dans la précipitation que notre époque nous impose, il semble que
l’harmonie soit mise de côté : tiraillés de mille parts,
nous risquons d’exploser, sollicités que nous sommes par une
nervosité continuelle, qui nous fait réagir négativement à tout.
On cherche la solution rapide, une pilule après l’autre pour
pouvoir aller de l’avant, une émotion après l’autre pour se
sentir vivants.
Mais
nous avons surtout besoin de l’Esprit : c’est lui qui met de
l’ordre dans la frénésie. Il apporte la paix dans l’inquiétude,
la confiance dans le découragement, met la joie au cœur de la
tristesse, la jeunesse au cœur de la vieillesse, le courage dans
l’épreuve. C’est Celui qui, au milieu des courants tempétueux
de la vie, fixe l’ancre de l’espérance. C’est l’Esprit qui,
comme le dit aujourd’hui Saint Paul, nous interdit de retomber dans
la peur, parce qu’il nous fait nous sentir fils aimés (cf. Rm 8,
15). C’est le Consolateur qui nous transmet la tendresse de Dieu.
Sans l’Esprit, la vie chrétienne est effilochée, privée de
l’amour qui unit tout. Sans l’Esprit, Jésus demeure un
personnage du passé, mais avec l’Esprit, il est une personne
vivante, aujourd’hui. Sans l’Esprit, l’Écriture est lettre
morte. Avec l’Esprit elle est Parole de vie. Un christianisme sans
l’Esprit est un moralisme sans joie. Avec l’Esprit il est vie.
L’Esprit
Saint n’apporte pas seulement l’harmonie au-dedans, mais
aussi au dehors, entre les hommes. Il nous fait Église, il
assemble des parties différentes en un unique édifice harmonieux.
Saint Paul l’explique bien, lui qui, en parlant de l’Église,
répète souvent ce mot : “variés” - « les dons
de la grâce sont variés, les services sont variés, les activités
sont variées » (1 Co 12, 4-6). Nous sommes
différents dans la variété des qualités et des dons. L’Esprit
les distribue avec fantaisie, sans aplatir, sans homologuer. Et à
partir de cette diversité, il construit l’unité. Il fait ainsi
depuis la création parce qu’il est spécialiste dans la
transformation du chaos en cosmos, dans la mise en harmonie. Il
suscite la diversité des richesses, Il est le créateur de
cette diversité, et en même temps, il est Celui qui harmonise, qui
donne l’harmonie et donne unité à la diversité. Lui seul peut
faire ces deux choses.
Nous
avons besoin de l’Esprit d’unité qui nous régénère comme
Église, comme Peuple de Dieu et comme humanité entière, qui nous
régénère. L’Esprit Saint unit les lointains, ramène les égarés.
Il fusionne des tonalités différentes en une unique harmonie parce
qu’il voit tout d’abord le bien. Il regarde l’homme avant ses
erreurs, les personnes avant leurs actions. L’Esprit modèle
l’Église, modèle le monde comme des lieux de fils et de frères.
Celui qui vit selon l’Esprit apporte la paix là où il y a la
discorde, la concorde là où il y a le conflit. Les hommes
spirituels rendent le bien pour le mal, répondent à l’arrogance
par la douceur, à la méchanceté par la bonté, au vacarme par le
silence, aux bavardages par la prière, au défaitisme par le
sourire.
Pour
être spirituels, pour goûter l’harmonie de l’Esprit, il faut
mettre son regard dans le nôtre. Alors les choses changent :
avec l’Esprit, l’Église est le Peuple saint de Dieu, la mission
est non pas prosélytisme, mais contagion de la joie, les autres sont
des frères et des sœurs, aimés du même Père.
L’Esprit vient
là où il est aimé, là où il est invité, là où il est attendu,
dit saint Bonaventure. Frères et sœurs, prions-le chaque jour.
Esprit
Saint, harmonie de Dieu, Toi qui transformes la peur en confiance et
la fermeture en don, viens en nous. Donne-nous la joie de la
résurrection, l’éternelle jeunesse du cœur.
Esprit
Saint, notre harmonie, Toi qui fais de nous un seul corps, remplis
l’Église et le monde de ta paix.
Esprit
Saint, rends-nous artisans de concorde, semeurs de bien, apôtres
d’espérance.
Homélie
du dimanche de la Pentecôte 9 juin 2019